Un synchrotron nouvelle génération pour l’Europe
Depuis le 25 août 2020, la communauté scientifique européenne a accès à un nouveau synchrotron aux performances inédites, installé à Grenoble, pour mieux explorer la matière.
« Nous avions rêvé d’une telle machine. Elle devient une réalité. », déclare Pantaleo Raimondi, directeur de la division accélérateur au synchrotron européen ESRF1 et concepteur du projet ESRF-EBS. Aménagée à Grenoble, cette « extremely brilliant source » est un nouveau type d’accélérateur circulaire de particules, qui permet à l’ESRF de devenir un synchrotron de quatrième génération à haute énergie, le premier du monde.
Ce nouvel anneau, basé sur une configuration d’aimants inédite qui a valu à Pantaleo Raimondi le prestigieux prix Gersh Budker en 2017, est construit à l’intérieur de l’infrastructure existante, en réutilisant 90 %. Trois mois auront été nécessaires pour démanteler l'anneau de stockage historique, qui avait ouvert la voie aux synchrotrons modernes de troisième génération en 1994. Et 9 mois pour installer la nouvelle machine dans le tunnel de 844 m et aligner 10 000 composants technologiques innovants et 5 km de lignes de lumière avec une précision de 50 microns - environ la moitié de l’épaisseur d’un cheveu humain. Ces lignes de lumière sont les installations expérimentales situées autour de l’anneau d’accélération, un ensemble d’instruments successifs pour recueillir, sélectionner, focaliser et diriger le rayonnement vers les échantillons à étudier.
Grâce à cette précision, ce synchrotron « EBS » fournira un faisceau d’électrons 30 fois plus resserré, augmentant la brillance et la cohérence du flux de rayons X produits d’un facteur 100 par rapport aux sources existantes. Atteignant 10 000 milliards de fois l’intensité des rayons X utilisés dans le secteur hospitalier, ce synchrotron sera le plus performant au monde, tout en diminuant sa consommation d’énergie de 20 %.
Une réalisation en un temps record
Pour Francesco Sette, directeur de l’ESRF, ces performances « ouvrent une nouvelle ère pour la science des rayons X qui permet d’explorer la complexité de la matière, des matériaux au vivant, de l’échelle nanométrique au macroscopique ». Les applications sont nombreuses, autant en santé (par exemple pour cartographier le cerveau humain jusqu’au niveau des synapses), dans l’environnement (en suivant le voyage des nanoparticules contenus dans nos produits du quotidien dans les sols, à des doses jusqu’ici indétectables), l’énergie (en traquant les atomes de lithium lors d’un cycle de batterie), les nouveaux matériaux pour l’industrie, mais aussi en archéologie (en permettant l’autopsie virtuelle d’une momie humaine jusqu’au niveau cellulaire), paléontologie (en « scannant » des crânes de dinosaures) ou encore en sciences du patrimoine (pour mieux identifier les réactions chimiques à l’origine des dégradations d’œuvres d’art).
Et le modèle inspire : 14 projets de modernisation ou de création de synchrotrons basés sur l’EBS sont en développement dans le monde, notamment aux États-Unis, au Japon et en Chine. « Le projet EBS est un exemple pour toutes les autres infrastructures synchrotron qui prévoient de passer à des sources de quatrième génération. », confirme Caterina Biscari, présidente de l’association européenne LEAPs, qui réunit 16 synchrotrons européens dont l’ESRF, et directrice du synchrotron espagnol ALBA.
Elle ajoute : « Le fait qu’EBS ait atteint les paramètres attendus en si peu de temps est incroyable. » Interrompant les activités de l’ESRF le 10 décembre 2018 pour 20 mois, les travaux ont en effet permis à l’EBS d’atteindre les paramètres nécessaires pour une mise en service avec 5 mois d’avance, juste avant la fermeture du site liée à la situation du COVID-19. Malgré la crise, le nouveau synchrotron est donc mis à la disposition de la communauté scientifique le 25 août 2020, comme initialement prévu. Une réussite pour un projet lancé en 2015 par les 22 pays partenaires de l’infrastructure de recherche qui ont investi 150 millions d’euros sur la période 2015-2022 dans ce programme. La France, représentée par le CNRS et le CEA (mandatés par le Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation), est le plus gros contributeur avec 27,5 %.
L’ESRF va donc à nouveau être en mesure d’accueillir, en présentiel ou en virtuel à cause de la crise sanitaire du COVID-19, les plus de 9000 scientifiques reçus chaque année pour des recherches sur tous les domaines impliquant ses 44 lignes de lumière. La communauté scientifique internationale a d’ailleurs soumis un nombre record de demandes d’utilisation du nouveau faisceau produit. En plus de l’anneau, quatre nouvelles lignes de lumière de pointe seront mises en service d’ici 2023, chacune spécialisée dans une technique d’imagerie différente afin d’étudier la structure de la matière au niveau atomique dans un niveau de détails encore jamais atteint.
Mais d’ici là, l’EBS a déjà mis ses capacités au service de recherches prioritaires sur le COVID-19 pour comprendre le fonctionnement et l’interaction du virus avec la cellule hôte, afin de contribuer au développement de vaccins ou d’antiviraux efficaces. Le domaine de l’imagerie 3D profite également de cette lumière extrêmement brillante pour comprendre les effets du coronavirus sur la microstructure des poumons, notamment lors de la phase de surinfection. « L’EBS est un exemple couronné de succès d’une collaboration internationale pour faire avancer la science et l’humanité. », conclut Francesco Sette.
- 1L’ESRF (European Synchrotron Radiation Facility) est une très grande infrastructure de recherche européenne, dont la représentation française est assurée par le CNRS et le CEA.
Magnifix, pour que la France tire le meilleur parti de l’EBS
Autour du synchrotron, l’ESRF accueille 5 lignes de lumière françaises cofinancées par le CNRSenc1 et le CEA, créant une porte d’entrée privilégiée pour la communauté française. L’accès aux expériences pour les utilisateurs sur ces lignes est co-géré avec une autre infrastructure, le synchrotron national Soleil, implanté sur le Plateau de Saclay. « Ces lignes sont déjà très performantes et accueillent 40 % des expériences françaises à l’ESRF », assure Emmanuelle Lacaze, directrice adjointe scientifique de l’Institut de physique du CNRS, chargée des très grandes infrastructures de recherche (TGIR). « Mais, pour pouvoir profiter des propriétés exceptionnelles du nouvel anneau, avec un faisceau plus petit et de meilleure qualité, il est absolument nécessaire d’améliorer les optiques et d’installer de nouveaux détecteurs ». Avec l’appui de l’Université Grenoble Alpes, le CNRS et le CEA ont donc déposé le projet « Magnifix » dans le cadre de l’appel EquipEx + en juin dernier. Si le projet est retenu, la mise au meilleur niveau des 5 lignes de lumière débutera en 2021 et se poursuivra jusqu’en 2025, en maintenant l’accueil des projets sur les expériences existantes. « Avec des équipements à l’état de l’art et la mise au point de nouvelles techniques, les scientifiques français seront en position particulièrement favorable pour traiter des questions inabordables jusque-là, grâce aux expériences d’une précision inédite permises par l’association synchrotron ESRF-EBS et projet Magnifix, dans des domaines aussi variés que la physique et la chimie de la matière, les sciences de la terre et la biologie. », conclut la spécialiste.
- enc1Action des instituts de physique (INP), de chimie (INC), des sciences biologiques (INSB) et de l’Institut national des sciences de l’univers (INSU).