L’odorat, victime du COVID-19 à l’étude
Certains patients atteints du COVID-19 ont signalé une perte de l’odorat. En partenariat avec d’autres structures françaises, le Centre de recherche en neurosciences de Lyon lance un site internet d’information et invite le grand public à participer à une étude sur ce sens méconnu. Les neuroscientifiques Moustafa Bensafi et Camille Ferdenzi, du Centre de recherche en neurosciences de Lyon, répondent à nos questions.
Quels sont les liens entre COVID-19 et odorat ?
Moustafa Bensafi1 : Le 20 mars, le Conseil national professionnel des oto-rhino-laryngologistes français a signalé la forte occurrence d’anosmie, c'est-à-dire la perte totale ou partielle de l'odorat, brutale chez des personnes suspectées ou confirmées porteuses du coronavirus SARS-CoV-2, responsable de la maladie COVID-19. Ce symptôme vient s’ajouter aux autres connus (toux, gêne respiratoire, etc.) et pourrait toucher les personnes les plus jeunes ou être le seul à apparaître chez certaines personnes. Surtout, il s’agit d’une forme spéciale d’anosmie où la cavité nasale n'est pas obstruée, ce qui la distingue de celle des rhumes ou grippes. À la suite de cette alerte des médecins ORL et infectiologues, il y a eu un grand élan de recherche internationale pour préciser ces liens entre odorat et COVID-19.
Pourquoi votre laboratoire se mobilise-t-il sur le sujet ?
M. B. : Au Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CRNL), notre équipe travaille sur la compréhension de ce sens méconnu qu’est l’odorat - comment, à partir d’une molécule chimique diffusée dans notre environnement par un aliment, une fleur, un animal, etc., on parvient à créer dans notre cerveau quelque chose que l’on appelle « odeur » qui est liée au goût, à la mémoire, aux émotions. Nous travaillons aussi sur l’altération de ce sens, suite par exemple à un traumatisme, un cancer ou une infection virale. Nous essayons d’en comprendre les causes, de proposer des diagnostics et des traitements basés sur de l’entraînement olfactif. Nous avons donc voulu mettre notre expertise au service de la recherche mais aussi du grand public.
Comment le grand public peut-il aider vos recherches ?
M. B. : Cette crise est un événement incroyable de par son ampleur et son caractère soudain. Pour nous, c’est aussi une occasion importante de faire avancer nos recherches. C’est pourquoi nous avons mis en ligne un site web d’information que nous espérons didactique sur l’odorat, les causes et la prévalence des différents troubles et déficits, les traitements envisageables, etc. Ce site est destiné aux personnes touchées et aux cliniciens, et plus largement au grand public qui se pose des questions. Coordonnée par le CRNL, cette initiative implique des scientifiques et médecins français travaillant sur l’odorat, issus de plusieurs laboratoires et hôpitaux.
Par ailleurs nous avons mis en place, et en particulier ma collègue Camille Ferdenzi, un questionnaire pour mieux comprendre les interactions entre qualité de vie et troubles de l’odorat et du goût dans la population française, en particulier pendant cette épidémie de COVID-19. Le questionnaire est à remplir en ligne et ne prend que 5 à 10 minutes2 . Son analyse apportera des éléments de connaissances importants sur les effets de ces pertes de l’odorat sur le quotidien des personnes touchées et leur comportement. La perte d’un sens peut faire bouger de nombreux repères.
Plus précisément, que pourrez-vous tirer de ce questionnaire ?
Camille Ferdenzi3 : Il y a plusieurs angles à cette recherche. Tout d’abord, si nous arrivons à mieux décrire les troubles olfactifs et gustatifs associés au virus, nous obtiendrons des indices sur son mode d’action : s’attaque-t-il aux cellules olfactives, à la muqueuse nasale ou bien est-ce une atteinte centrale, au niveau du cerveau ? C’est pourquoi le questionnaire comprend des questions sur d’éventuelles atteintes cognitives ressenties par l’individu, comme des troubles de l’attention, une perte de mémoire, etc.
D’autre part, nous voulons savoir quand ces symptômes olfactifs apparaissent par rapport aux autres symptômes. Cela pourrait être un bon signal d’alerte dès aujourd’hui pour que les personnes qui perdent l’odorat restent bien chez elles, et aussi durant la période de déconfinement.
Enfin, il existe aujourd’hui plusieurs questionnaires autour de l’odorat, lancés par divers groupes de recherche. Mais le nôtre est le seul à s’intéresser à l’incidence de la perte de l’odorat sur la qualité de vie. Nous posons par exemple des questions sur l’activité culinaire, le plaisir ressenti en mangeant, les interactions sociales, etc. Les personnes qui perdent l’odorat développent souvent des symptômes dépressifs et se sentent isolées. Et si elles mettent du temps à retrouver ce sens, leur qualité de vie peut être fortement impactée. C’est pourquoi il est important de quantifier cette qualité de vie, de la surveiller et éventuellement de prendre en charge ces déficits olfactifs avec des traitements, comme l’entraînement olfactif.
Quelles sont ces autres initiatives similaires dont vous parliez ?
M. B. : Le CRNL participe aussi à une enquête internationale, impliquant plusieurs pays dans le monde, destinée à caractériser la prévalence des pertes olfactives chez les personnes atteintes de troubles respiratoires, comme le COVID-19. Dans la même idée, un questionnaire international lancé par le Weizmann Institute of Science en Israël a été traduit en plus de 13 langues. Il permet d’évaluer soi-même son odorat, grâce à un protocole simple à mettre en place à la maison. SmellTracker offre ainsi une autosurveillance, un suivi de ses perceptions olfactives, qui pourrait aider à repérer les tout premiers signes de COVID-19. L’équipe du CRNL est partenaire de ce projet. C’est important pour les patients, mais la recherche profitera aussi de cette accumulation de données pour caractériser ces signes olfactifs, afin d’améliorer les diagnostics.
- 1Directeur de recherche CNRS au Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CNRS/Inserm/Université Lyon 1 Claude Bernard /Université Jean Monnet).
- 2Ce questionnaire anonyme ne contient aucune information permettant d’identifier les personnes y répondant.
- 3Chargée de recherche CNRS au Centre de recherche en neurosciences de Lyon (CNRS/Inserm/Université Lyon 1 Claude Bernard /Université Jean Monnet).