Les grandes infrastructures de recherche s’organisent

Institutionnel

Pour faire face à la crise sanitaire du COVID-19, les infrastructures de recherche du CNRS ont dû s’adapter : la plupart ont fermé leurs portes mais certaines doivent maintenir une activité essentielle.

Conséquence directe de la pandémie, la plupart des infrastructures de recherche et très grandes infrastructures de recherche (TGIR) ont réduit leurs activités au strict minimum de sécurité. « Il est plus sage de limiter les activités de recherche qui ne sont pas directement liées au coronavirus », estime Alain Schuhl, directeur général délégué à la science du CNRS, qui organise, avec le président du Comité des très grands équipements scientifiques et grandes infrastructures (TGIR) du CNRS, Eric Humler, un repli en bon ordre.

Chercheuse gérant un aimant RMN
La RMN (résonance magnétique nucléaire) est une technique non destructive, qui permet de sonder la matière à l’échelle nanométrique et d’obtenir des informations structurales. © Cyril FRESILLON / CEMHTI / CNRS Photothèque

Les sept sites de l’infrastructure de recherche Résonance magnétique nucléaire à très hauts champs (RMN THC) – discipline aux nombreuses applications en biologie, chimie, physique, science des matériaux, etc. – ont ainsi fermé leurs portes à la fois aux scientifiques et aux visiteurs. Mais « les appareils de RMN fonctionnent sur la base d’aimants supraconducteurs refroidis à l’hélium : tant qu’ils sont à froid, le champ magnétique s’auto-entretient dans la bobine de l’aimant », explique Jean-Pierre Simorre, directeur de recherche CNRS à l’Institut de biologie structurale1 et directeur de l’infrastructure. L’arrêt est donc très complexe et ne peut se faire dans l’urgence sans risque d’endommager l’aimant. Surtout, redémarrer la machine demanderait de grandes quantités d'azote et d'hélium liquide, ce qui serait extrêmement onéreux. La décision a donc été prise de maintenir les onze aimants concernés en champ, même si les expériences sont arrêtées.

Or l’hélium et l’azote s’évaporant, il faut remplir régulièrement les containers, faute de quoi la bobine pourrait perdre ses propriétés supraconductrices et les aimants pourraient être endommagés. Dans chaque site, deux ingénieurs, en binôme pour plus de sécurité, continuent donc à se rendre sur place pour effectuer cette mission de maintenance. La plus grande crainte tient dans une possible interruption des livraisons d’hélium et d’azote car « même si certains sites disposent de liquéfacteur d’hélium dans leur environnement proche, nous n’avons pas de stock important », explique Jean-Pierre Simorre. Pour pallier cette possible pénurie, chaque site essaie de trouver des solutions adaptées à ses aimants. « Heureusement, les sites de cryogénie ainsi que le principal constructeur d’aimants sont sensibilisés à notre problématique et sont prêts à nous aider », rassure le directeur de RMN THC.

Du temps et des précautions

La TGIR “European synchrotron radiation facility” (ESRF) possède aussi une série d’installations cryogéniques mais l’infrastructure « a l’expertise pour faire face à des situations qui demandent un arrêt très rapide », affirme son directeur Francesco Sette. L'ESRF fait partie de l'EPN science campus à Grenoble, qui regroupe trois instituts de recherche européens2 et un institut national3 dédiés à l'exploration des matériaux et de la matière vivante. « Nous disposons d’un plan de continuité d’activité conçu notamment en coordination avec les quatre directeurs d'instituts, les tutelles et l’Autorité de sûreté nucléaire : il est adapté aux besoins de chacun mais aussi aux infrastructures que nous partageons, comme le système informatique, l’accès des visiteurs et sous-traitants, la cantine, etc. »

Vue du ciel de l'ESRF
© ESRF/Pierre Jayet

L'accélérateur d’électrons de 844 mètres de circonférence, qui produit des faisceaux de rayons X pour les 44 lignes de lumière de l'ESRF, accueille chaque année plusieurs milliers de chercheurs et chercheuses 24h/24 et 7 jours/7. Mais, à la date du début du confinement, cette infrastructure étant en travaux avec l’installation et la mise en fonctionnement d’une nouvelle génération de synchrotron, aucun utilisateur scientifique ne se trouvait sur les lieux. L’ensemble de ce système complexe a donc pu être fermé et mis en sécurité rapidement. « Nous avons pris cette décision aussitôt l’annonce du confinement, dès le 14 mars, car l’arrêt demande du temps et des précautions pour ne pas endommager le matériel, et ce, afin de garantir toutes les conditions pour un redémarrage rapide et efficace, le moment venu, de cette nouvelle infrastructure attendue par l’ensemble de la communauté internationale », explique le directeur.

Quelques dizaines de personnes continuent à se rendre sur le site, pour garantir la sécurité de l’installation, pour la maintenance d’éléments comme les aimants mais aussi du système informatique indispensable au télétravail du personnel et des scientifiques qui doivent garder l’accès aux données issues de leurs expériences. « Nous mettons tout en œuvre pour minimiser l’impact sur le programme des utilisateurs scientifiques, avec toujours pour objectif prioritaire un accès aux nouvelles installations et à un maximum de lignes de lumière pour fin août. Si nous pouvons redémarrer à partir de mi-mai, nous devrions pouvoir respecter le planning initial de réouverture. Sinon, nous privilégierons les instruments qui peuvent être opérés à distance avec le minimum de manipulations sur place par les opérateurs. »

Une organisation internationale

Cette crise sanitaire aura aussi des conséquences à long terme sur le planning du Cern, l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire portée en France par le CNRS et le CEA, qui compte 23 États membres dont l’Italie, 8 pays membres associés et 6 pays ou structures observateurs. Une structure internationale qui permet à la direction du Cern de réagir rapidement à ce type de crise dès qu’un des pays est concerné. « Nous avons suivi l’évolution de la situation dès le 21 janvier, raconte Ursula Bassler, présidente du Conseil du CERN, et la direction a très étroitement collaboré avec les autorités compétentes des États hôtes - la France et la Suisse - et avec les organisations internationales présentes à Genève comme l’Organisation mondiale de la santé. »

Tunnel du LHC au Cern
Tunnel du LHC (Grand collisionneur de hadrons), un accélérateur de particules du Cern © Cyril FRESILLON/LHC/CNRS Photothèque

Les missions et visites du public ont donc été annulées dès le 11 mars et toutes les activités non essentielles ont été mise à l’arrêt à partir du 15 mars. « Nous sommes passés de 7000 personnes présentes sur le site à environ 300 indispensables pour assurer la sécurité des installations. Le Cern s’arrête tous les ans, en fin d’année, pour deux semaines pendant les fêtes donc nous avons l’habitude de ce genre d’opérations, qui prennent quand même une semaine. La différence, cette année, est qu’il a fallu aider les scientifiques et prestataires à rejoindre en urgence leur pays d’origine. »

Heureusement, le principal accélérateur du Cern, le LHC4 , aussi en travaux, accueillait moins de monde qu’habituellement. En contrepartie, de nombreux contrats avec des prestataires, notamment de génie civil, étaient en cours, ce qui pose des problèmes légaux à régler. « Le Cern reste ouvert virtuellement, assure Ursula Bassler, pour des réunions de travail ou des séminaires scientifiques, et les services informatiques sont très sollicités pour répondre à la forte demande. Pour la première fois, la réunion du Conseil s’est même tenue en visioconférence ! »

Des revues en accès ouvert pour le confinement

D’autres infrastructures de recherche tournent aussi en effectifs réduits, comme les télescopes de l’Institut de radioastronomie millimétrique dont seules les observations pilotées à distance sont maintenues, ou les grands centres de calcul dont dépendent de nombreux scientifiques pour stocker leurs données ou effectuer des calculs.

Mais d’autres fonctionnent à plein régime, comme OpenEdition qui fédère des communautés de recherche internationales en sciences humaines et sociale. Mise en œuvre par l’unité de service et de recherche OpenEdition Center5 , elle rassemble quatre plateformes de publication électronique dédiées respectivement aux collections de livres (OpenEdition Books), aux revues (OpenEdition Journals), aux « carnets » ou blogs de recherche (Hypothèses) et aux annonces d’événements scientifiques (Calenda). « Malgré la situation qui peut allonger nos délais, nous continuons à accompagner les utilisateurs des quatre plateformes et les bibliothèques partenaires qui soutiennent l'accès ouvert via le Freemium, relate Marie Pellen, directrice de l’infrastructure. Et, même si nos formations mensuelles sont annulées, nous réfléchissons à créer des tutoriels en ligne. »

Surtout, l’accès à l’ensemble des contenus, dont une grande partie - 95 % des contenus d’OpenEdition Journals, 80 % des livres et 100 % des contenus sur Hypothèses et Calenda - est habituellement en accès ouvert, est maintenu. OpenEdition a également contacté les éditeurs pour leur demander l’autorisation d’ouvrir ou d’élargir les accès à leurs contenus sur OpenEdition Journals et OpenEdition Books. « Nous avons rapidement eu des retours favorables », s’enthousiasme Marie Pellen. Un des rares effets positifs de cette période de confinement.

  • 1CNRS/CEA/Université Grenoble Alpes.
  • 2L’ESRF, l’Institut Laue-Langevin (ILL) et l’European Molecular Biology Laboratory (EMBL).
  • 3L’Institut de biologie structurale (CNRS/CEA/Université Grenoble Alpes).
  • 4Large hadron collider
  • 5CNRS/Aix-Marseille Université/EHESS/Université d’Avignon et des Pays de Vaucluse.