Pascal Auscher : « Les mathématiques sont utiles à tous et toutes »
Entre la réforme des lycées et les 21 mesures proposées début 2018 par Cédric Villani et Charles Torossian, l’enseignement des mathématiques est en pleine mutation. Pascal Auscher, directeur de l’Institut national des sciences mathématiques et de leurs interactions (Insmi) du CNRS, nous explique ce que peut apporter l’organisme pour accompagner cette transformation.
Le plan Torossian-Villani de 21 mesures pour l’enseignement des mathématiques a été publié il y a deux ans. Qu’en retient l’Insmi ?
Pascal Auscher : Ce rapport, qui fait des mathématiques une priorité nationale, est issu de la rencontre de deux mondes représentés par un chercheur en mathématiques et professeur d’université, M. Villani, et un mathématicien cadre de l’Éducation nationale, M. Torossian, missionnés par le ministre de l'Éducation nationale et de la Jeunesse, Jean-Michel Blanquer. Ils ont piloté une équipe formée de personnes du monde associatif, de l’enseignement primaire, secondaire et supérieur, et de la recherche. Cette équipe a construit des propositions pour faire évoluer l’enseignement des mathématiques. Dans ce cadre, l’Insmi a été auditionné en raison de sa mission nationale d’animation de la recherche en mathématiques qui, dépassant le cadre du CNRS, permet de favoriser les liens entre l’enseignement secondaire et la recherche.
Les mesures concernant la formation continue des enseignantes et enseignants nous interpellent plus particulièrement car elles proposent d’impliquer le CNRS. L’Insmi ne se préoccupe pas de pédagogie, qui ne relève pas de ses missions, mais peut influencer la façon dont l’enseignement transmet une vision des mathématiques en tant que discipline. Il faut aujourd’hui changer l’image que se fait le grand public de cette science, jugée abstraite, dogmatique et figée, voire inutile au quotidien. Nous voulons montrer que les mathématiques sont bel et bien vivantes, qu’elles avancent, évoluent et sont présentes partout dans le monde technologique dans lequel nous vivons.
4 mesures pour l’enseignement des mathématiques
Parmi les 21 mesures du plan Torossian-Villani, deux concernent plus particulièrement l’Insmi :
- Mesure 15 - Développement professionnel en équipe
Développer la formation continue des professeurs de mathématiques à l’échelle locale, dans une logique de confiance, entre pairs et en équipe ; promouvoir l’observation conjointe ; dégager un temps commun dans les emplois du temps ; identifier les personnes ressources. - Mesure 16 - Laboratoire de mathématiques
Expérimenter, financer et évaluer sous trois ans, dès septembre 2018, dans au moins cinq établissements et un campus des métiers par académie, la mise en place de laboratoires de mathématiques en lien avec l’enseignement supérieur et conçus comme autant de lieux de formation et de réflexion (disciplinaire, didactique et pédagogique) des équipes.
Deux mesures entrent dans les missions de la Fondation Blaise-Pascal :
- Mesure 7 - Périscolaire et clubs
Encourager les partenariats institutionnels avec le périscolaire et favoriser le développement de ce secteur. Recenser et pérenniser les clubs en lien avec les mathématiques (de modélisation, d’informatique, de jeux intelligents, etc.). Rémunérer les intervenants et adapter les emplois du temps des enseignants. - Mesure 9 - Réconciliation
Proposer aux élèves du lycée un module annuel de "réconciliation" avec les mathématiques sur des thématiques et des démarches nouvelles.
Pour cela, vous organisez l’Année des mathématiques durant l’année scolaire 2019-2020. Quels en sont les grands axes ?
Tout au long de cette Année des mathématiques, organisée en partenariat avec le ministère de l’Éducation nationale et de la Jeunesse et impliquant de nombreuses structures de la diffusion et de l’enseignement des mathématiques, de nombreux laboratoires de l’Insmi et de nos partenaires accueillent, le temps d’une journée, des enseignantes et enseignants du second degré pour mettre en avant les mathématiques d’aujourd’hui. La matinée est consacrée à des exposés scientifiques et l’après-midi à des ateliers dans lesquels tous et toutes s’attellent à transformer les nouvelles notions abordées le matin en contenus pédagogiques utilisables avec les élèves. Par ces près de 80 formations, inscrites aux Plans académiques de formation, nous espérons toucher 1600 professeures et professeurs. Mais nous espérons surtout que cette mise en avant d’une science vivante se propagera dans les collèges et lycées, même si nous ne touchons pas tout le corps enseignant, et qu’elle sera durable. Un objectif de cette Année des mathématiques est de créer des contacts suffisamment étroits pour que de nouvelles actions émergent aux côtés de celles qui existent déjà. Au-delà de ces formations, certains outils peuvent aider, comme AuDiMath (voir encadré) et la Fondation Blaise Pascal.
AuDiMath pour la diffusion des maths
Le groupement de service AuDiMath (pour « Autour de la diffusion des mathématiques ») met en valeur les actions des acteurs de la communauté mathématicienne universitaire qui diffusent les mathématiques auprès du grand public, en particulier au sein des collèges et lycées, via des ateliers, spectacles, expositions, vidéos, etc.
Quel est le rôle de la Fondation Blaise Pascal ?
Créée en 2016, la Fondation Blaise Pascalest issue d’un partenariat entre l’Université de Lyon, Inria et le CNRS, via l’Insmi et l‘Institut des sciences de l'information et de leurs interactions (Ins2i). Intialement grâce au soutien de l’Agence nationale de la recherche, maintenant avec celui des fondateurs et d’entreprises privées, elle aide financièrement, sur l’ensemble du territoire, les actions d’associations, de clubs et d’écoles d’été qui visent à donner, ou – comme on l’a vu – redonner au public le goût des mathématiques et de l’informatique. En particulier, elle offre une attention particulière aux actions s’adressant à un public féminin ou situé dans des régions pauvres en médiation. Ces missions correspondent aux mesures 7 et 9 du plan Torossian-Villani et s’inscrivent parfaitement dans l’Année des mathématiques. Elles correspondent aussi à un besoin des entreprises d’avoir un vivier de personnes à embaucher, dotée d’une solide compétence mathématique et venant de tous horizons.
Avec 12 médailles Fields, présentées comme l’équivalent du prix Nobel de mathématiques, la recherche française est mondialement reconnue. Pourtant, les résultats des jeunes Français aux tests internationaux en mathématiques ne sont pas excellents. Comment expliquer ce paradoxe ?
Tous les enfants reçoivent des cours de sport mais peu d’entre eux en font à haut niveau. De même, l’enseignement des mathématiques n’a pas vocation à ne former que celles et ceux qui veulent se destiner à la recherche ou à des métiers mathématiques.
Il est important que la nation se dote d’un système d’apprentissage des mathématiques qui soit utile à tous et toutes. Car, dans la société d’aujourd’hui, il est indispensable de posséder quelques notions de logique et d’abstraction, de comprendre comment fonctionne une preuve scientifique et d’avoir la capacité de mettre en relation des concepts complexes. L’utilisation croissante des algorithmes nécessite d’en saisir la puissance mais aussi les limites. Le recours massif à des sondages, par exemple en politique, rend indispensable de saisir les bases des statistiques : quels sont les biais en jeu, les marges d’erreur ? En santé, également, par exemple en cas d’épidémie, les notions de facteur de risque et de modèles de propagation font appel à des mathématiques. Sans parler des nouvelles technologies, par exemple les algorithmes des moteurs de recherche. Les mathématiques offrant un cadre, en réalité simple et dépouillé, pour développer l’esprit critique et les méthodes de raisonnement, citoyens et citoyennes ont besoin d’acquérir un socle de compétences mathématiques pour appréhender toutes ces thématiques. Il me semble qu’un moyen d’y parvenir est d’avoir des programmes de mathématiques qui, sans renoncer à la rigueur, soient adaptés à chaque élève et qu’il faut accompagner les enseignantes et enseignants dans le cadre de la formation continue.
Au niveau de l’excellence de la recherche, pour l’instant, l’enseignement supérieur en mathématiques est de qualité en France, notamment parce que les cours sont donnés par des enseignantes-chercheuses et enseignants-chercheurs. Ceux-ci transmettent leurs connaissances de pointe et les enseignements sont renouvelés très régulièrement pour donner aux étudiantes et étudiants un bagage important et à jour dans tous les aspects des mathématiques. Notre système éducatif parvient aujourd’hui très bien à emmener celles et ceux qui excellent encore plus loin. Mais il faut être vigilant : si le nombre de postes de recherche accessibles continue à diminuer et si l’évolution salariale n’est pas attractive, de plus en plus de jeunes, qui pourraient se destiner à la recherche, choisiront plutôt des métiers d’ingénieurs et se tourneront vers l’industrie. Si la recherche faiblit, l’enseignement supérieur en pâtira et le niveau français baissera, n’attirant plus les jeunes. C’est une chaîne dont chaque maillon doit rester fort. Et cela commence par réconcilier la population avec la discipline grâce à l’Année des mathématiques.