Internet, société et gouvernance
Un tout nouveau laboratoire CNRS a ouvert ses portes en janvier 2019 : le Centre Internet et société. À sa tête, deux femmes passionnées par l’architecture d’Internet et les questions de société qui en découlent.
Au croisement de disciplines telles la sociologie, le droit, la science politique, les sciences de l'information et de la communication et l'informatique, le Centre Intern1 et et société(CIS) construit une recherche interdisciplinaire visant à éclairer les grandes controverses techniques et la définition des politiques contemporaines liées au numérique, à l'internet, et plus largement à l'informatique. Mélanie Dulong de Rosnay, docteure en droit et directrice du CIS, et Francesca Musiani, docteure en socio-économie de l’innovation et co-directrice du CIS, mènent des recherches sur les interactions entre Internet, société et gouvernance.
Le fil rouge des recherches de Mélanie Dulong de Rosnay, depuis son doctorat jusqu’à ses différents projets européens ? Le lien entre régulation par le droit et régulation par la technique et les biens communs numériques. Pour Francesca Musiani, sociologue des techniques, spécialiste des réseaux d’information et de communication, c’est le questionnement sur la gouvernance d’Internet qui guide ses recherches. Deux chercheuses au profil différent mais aux thématiques de recherche étroitement liées. « Nous évoluons au sein du même réseau de collaboration professionnel et personnel depuis le début de nos doctorats respectifs, explique la directrice du CIS, spécialiste des métadonnées juridiques. Nous sommes officiellement devenues collègues à l’Institut des sciences de la communication du CNRS2 que j’ai rejoint en 2010 et Francesca en 2014. Des pôles numériques de cet institut est né le Centre Internet et société. »
Alors que ces pôles dédiés à l’étude du numérique se rattachaient à un réseau européen et international des centres Internet et société (Network of Centers), l’Institut des sciences humaines et sociales du CNRS a proposé que soit développé le membre français de ce réseau. « Nous avions déjà eu la possibilité de développer des collaborations avec ce réseau et ses centres membres - par exemple avec le centre d’Harvard qui est le plus ancien, ou celui de Turin, ou encore le centre de Berlin avec qui nous coéditons la publication Internet Policy Review », rapporte Francesca Musiani.
Ainsi nait, en janvier 2019, le tout jeune Centre Internet et société du CNRS, « une unité interdisciplinaire qui réfléchit à l’Internet et aux technologies numériques dans leur effets politiques. Ainsi, je participe à un projet européen, netCommons, qui étudie la gouvernance des réseaux Internet communautaires, c’est-à-dire des réseaux conçus par des citoyens en tant qu’alternatives aux serveurs classiques », décrit Mélanie Dulong de Rosnay. « Internet pose des questions de redistribution du pouvoir inédites… Nous étudions la gouvernance au sein d’Internet, les infrastructures, les algorithmes… Dans le cadre du projet européen NEXTLEAP, nous avons par exemple mené une enquête de trois ans sur les outils de messagerie pratiquant du chiffrement et leurs interactions avec les utilisateurs et les régulateurs », ajoute Francesca Musiani, qui est également l’une des coordinatrices du volet français de l’Internet Society en charge d’amener l’Internet au plus grand nombre via des initiatives d’éducation aux médias numériques.
Autre bel exemple de collaboration entre les centres du réseau Internet et société, l’association internationale Communia, dont Mélanie Dulong de Rosnay a participé à la fondation, à l’issue d’un réseau thématique de recherche européen sur le domaine public numérique coordonné par le Centre Nexa de Turin. Regroupant anciens membres de ce projet européen et associations de la société civile, Communia a pour objet la traduction de résultats scientifiques en droit d’auteur en recommandations politiques pour la préservation du domaine public.
Par-delà ce large réseau, le Centre Internet et société du CNRS développe sa propre spécificité au sein de son domaine de recherche. « Nous sommes en train de construire nos axes de recherche et d’interventions dans le politique et la société, dont l’un qui portera sur la régulation de l’intelligence artificielle et plus particulièrement sur la prise de décision des algorithmes, relate Mélanie Dulong de Rosnay. Francesca travaille actuellement sur la question des fake news et le rôle des modèles économiques des grandes plateformes. » Dans cette démarche, les fondatrices du CIS sont entourées par une équipe dynamique et aux compétences variées. Tommaso Venturini, chargé de recherche CNRS, s'intéresse au rôle du numérique dans les débats publics, avec une attention particulière aux méthodes numériques de recherche qui permettent d'aborder ce sujet de façon novatrice ; Jean-Marc Galan, également chargé de recherche CNRS, ex-biologiste, marie des activités de médiation scientifique à une recherche sur les tiers-lieux de la science, comme les fab lab ; Ksenia Ermoshina, chercheuse postdoctorale, s’intéresse aux pratiques de contrôle de l’information sur les réseaux, avec une attention particulière à sa Russie natale ; et enfin, Céline Vaslin, secrétaire générale, assure la coordination des activités liées à la communication et à l'administration.
La création de la nouvelle unité se couple avec la création d’un Groupement de recherche (GDR) Internet et société visant à rassembler la multitude de chercheurs évoluant sur ces thématiques au sein de multiples équipes et laboratoires. « Nous œuvrons à fédérer la communauté des chercheurs et enseignants-chercheurs qui travaillent sur ces questions. Nous souhaitons également collaborer avec des associations et des entreprises. Le GDR sera structuré en une douzaine de groupes de travail dont un portant sur les plateformes numériques et le risque algorithmique. Également parmi les thématiques des autres groupes : l’intelligence artificielle (IA), la santé, la surveillance, le genre ou encore les questions de science ouverte », développe la directrice.
« L’unité joue le rôle de tête de pont d’un réseau qui existe déjà de manière informelle, mais qui n’est pas encore structuré formellement. Il y a des collaborations entre groupes de chercheurs présents dans une myriade d’institutions. L’objectif est de rapprocher des informaticiens qui réfléchissent sur des questions d’éthique, de responsabilité des algorithmes, avec des juristes et des spécialistes de sciences sociales ! », conclut Francesca Musiani.
Autant de projets de recherche et de futures collaborations que le Centre Internet et Société développera lors de sa première grande conférence, les 26 et 27 septembre 2019. Une conférence qui accueillera sur deux jours les différents groupes de travail du futur GDR Internet et société lors de réunions et de tables rondes.
Laurence Stenvot