Reporters sans frontières initie une Commission pour l’information et la démocratie

Institutionnel

Soixante-dix ans après l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme à Paris, Reporters sans frontières (RSF) a lancé le 11 septembre à la Maison de l’Amérique latine à Paris, la Commission sur l’information et la démocratie dont le président-directeur général du CNRS, Antoine Petit est membre. Christophe Deloire, secrétaire général de RSF et co-président de la Commission, revient sur les objectifs de la commission.

Pour quelles raisons Reporters sans frontières a initié la Commission sur l’information et la démocratie ?

La liberté d’opinion doit reposer sur des faits pour n’être pas seulement une liberté de principe, une « farce » comme disait Hannah Arendt, mais une liberté dont l’exercice est effectivement garanti. Aujourd’hui, cette liberté est en danger… Le journalisme subit des attaques de toutes parts, une crise économique et peut-être morale, les grands équilibres de l’espace public et du champ de l’information sont bouleversés. Nous vivons dans une jungle informationnelle où les garanties démocratiques sur l’information et la liberté d’opinion sont caduques. Le champ de l’information est ouvert de manière égale aux rumeurs, aux grands appareils de propagande et aux entreprises privées qui défendent leurs intérêts à travers la publicité ou des contenus sponsorisés. La loi de la jungle est par définition celle du plus fort, pas celle du pluralisme et l’honnêteté de l’information. Jusque-là, l’organisation de l’espace public où s’échange les idées et les informations relevait des Etats.  Dorénavant, elle est largement déléguée à des acteurs privés, dans le cadre d’une concentration très forte. Pourtant, aucun contrepouvoir n’a été prévu ! Les plateformes numériques se sont installées au milieu de la place du village et disent comment ranger les tables et les chaises, et qui peut s’asseoir dessus.

Quels sont les objectifs de la commission ?

Les objectifs sont précisément de reposer aujourd’hui les garanties démocratiques sur l’information et la liberté d’opinion à l’heure de la digitalisation et de la mondialisation de l’information. Les garanties posées historiquement par le droit international ou les régulations nationales doivent demeurer effectives dans le système actuel. La commission est composée de 25 personnalités de nationalités et de natures très différentes. Ce sont des Prix Nobel de la paix, d’économie et de littérature, des spécialistes des nouvelles technologies, des journalistes, des défenseurs des droits humains, attachés à défendre le droit d’accès à une information fiable. Nous désirons poser cette vision alors que les dirigeants politique prennent des initiatives sans pour autant considérer le changement de paradigme total de l’espace public. Nous souhaitons repartir sur une base de principes clairs pour ensuite lancer un processus politique international pour aboutir à un Pacte sur l’information et la démocratie, un engagement des Etats, des entreprises et de la société civile.

Pourquoi avoir sollicité Antoine Petit, président-directeur général du CNRS, pour cette commission ?

J’ai sollicité Antoine Petit pour deux raisons. D’abord, parce que je pense que l’information générale et politique a beaucoup à apprendre de la science pour l’application de la méthode rationnelle. Il est d’ailleurs possible de faire un pont entre la méthode scientifique et la méthode journalistique. En effet, la définition d’une vérité scientifique s’applique à ce que devrait être une vérité journalistique, la possibilité de l’expérimentation mise à part. Un fait journalistique lui aussi est un fait réfutable sur le principe qui n’a pas encore été réfuté, pour faire une référence à Karl Popper. En outre, les questions informatiques sont extrêmement importantes. Le regard et l’expertise d’Antoine Petit, en tant qu’ancien directeur de l’INRIA, m’ont semblé très intéressants pour cette commission.

La commission a pour mandat de rédiger une Déclaration sous la forme d’un pacte international pour l’information et la démocratie. Quel sera le rôle de cette Déclaration sur la scène internationale ?

Aujourd’hui les enjeux sont tels qu’il ne sert à rien de se contenter de déclarer la nécessité de réguler les plateformes. La question est : que devons-nous faire précisément ? Pour répondre à cette question, il faut partir des principes. La déclaration a pour objectif de les énoncer, de définir des objectifs et proposer des modalités de gouvernance. Elle devra également articuler les droits humains relatifs à la liberté d’expression, les principes déontologiques du journalisme ainsi que les règles éthiques pour le développement et l’usage des technologies. L’objectif est que des dirigeants saisissent notre travail pour se mobiliser autour de ces questions. Nous réclamons un processus politique. Nous souhaitons qu’il soit lancé dans le délai maximal d’un an, et pensons que la présence de 80 chefs d’Etats et de gouvernements à Paris le 11 novembre pour la commémoration de la fin de la 1ère guerre mondiale, le Forum de Paris sur la paix et l’Internet gouvernance forum devrait être mise à profit.