Une première mondiale : un satellite propulsé à l’iode
Issue d’un laboratoire commun entre le CNRS et l’Ecole polytechnique, la compagnie ThrustMe a conçu le premier moteur électrique pour des petits satellites qui utilise de l’iode. Alors que le prototype a été mis en orbite la nuit dernière, la fondatrice et CEO de ThrustMe, Ane Aanesland, nous explique les enjeux.
Le satellite qui utilise vos technologies vient tout juste d’être envoyé dans l’espace depuis Taiyuan en Chine à 4h20 (heure française) cette nuit. Comment vous sentez-vous ?
Ane Aanesland : Je suis très heureuse et extrêmement fière et impressionnée par le travail de mon équipe! C’est l’aboutissement de plusieurs années de travail. J’ai fondé ThrustMe en 2017 avec Dmytro Rafalskyi mais ces résultats sont le fruit de travaux effectués au Laboratoire de physique des plasmas1 dès 2009. Une recherche d’ailleurs très fondamentale sur les propriétés de l’iode qui se transforme donc en application innovante. Réussir à lancer ce satellite pendant la période compliquée que nous connaissons a été un vrai challenge, sachant que nous avons travaillé pour ce lancement avec SpaceTy, une des principales compagnies aérospatiales commerciales en Chine. Nous avons dû développer, tester et livrer notre moteur pendant la période où les voyages étaient limités. Pour faire passer les instructions d’intégration du moteur dans le satellite, que nous transmettons habituellement en allant sur place, nous avons même inventé un nouveau système de vidéos explicatives. Heureusement, nous avons une équipe dévouée et talentueuse, composée d’une vingtaine de personnes avec 16 nationalités différentes ! C’est que nous sommes sur le point de changer la donne avec cette nouvelle technologie de système de propulsion spatiale électrique à l’iode.
Pourquoi utiliser de l’iode pour propulser un satellite ?
A.A. : ThrustMe conçoit différents moteurs pour des satellites de petite taille. Ces petits satellites sont souvent déployés en constellation, c’est-à-dire en groupe coordonné avec des satellites placés sur des orbites synchronisées, ce qui leur permet une couverture du globe terrestre plus complète. Cela est utile pour diverses missions, comme le suivi de précision des cultures agricoles ou la fourniture d'accès Internet à haut débit. Comme tous les satellites lancés en même temps doivent ensuite rejoindre leur propre orbite, la propulsion embarquée devient un élément clé du spatial.
Pour être embarqués sur de tels satellites, nos moteurs doivent être miniatures et peu coûteux, économiquement et en termes environnementaux. Mais ils doivent aussi être très performants, pour assurer le déploiement initial de la constellation, des changements de trajectoires, l’évitement d’éventuels débris spatiaux ou d’autres satellites, et bien sûr la fin de vie2 .
L’iode a plusieurs avantages pour atteindre ces objectifs. Il est stocké sous forme solide, contrairement à l’habituel xénon qui, en plus d’être rare donc coûteux, nécessite des réservoirs à haute pression complexes et sensibles. Cela rend le système de propulsion plus sûr et facilite son intégration dans un satellite et les tests associés. Plus dense et facile à stocker, l’iode permet des systèmes plus petits. Il est aussi peu onéreux. L’iode pourra ainsi répondre à la demande croissante due au développement des constellations de satellites3 . C’est pourquoi le domaine est en pleine expansion. La Nasa travaille également sur cette technologie prometteuse, mais a rencontré des difficultés techniques que, pour le moment, nous seuls avons réussi à dépasser.
Pourquoi avoir choisi la chinoise SpaceTy pour lancer ce premier satellite propulsé à l’iode ?
A.A. : Le marché pour la propulsion spatiale est aujourd’hui à 40 % en Chine, suivie par les États-Unis et, en plus faible proportion, l’Europe. Il est donc important pour nous d’être présents dans tous ces pays. Nous collaborons avec les États-Unis sur d’autres systèmes. Nous avons signé en septembre notre premier contrat avec l’Agence spatiale européenne (ESA), justement pour le développement de moteurs à iode solide, et avons reçu un fort soutien de l’agence française, le Centre National d'Études Spatiales (CNES). SpaceTy est notre première collaboration avec une entreprise commerciale chinoise. Elle développe et opère notamment des satellites de démonstration scientifique et technologique. Nous avons déjà collaboré avec eux l’an dernier pour tester des technologies cruciales pour le stockage et l’utilisation d’iode sur leur satellite Xiaoxiang 1(08), en utilisant notre moteur à gaz froid. Cette fois, nous allons effectuer des tests complets du système de propulsion électrique, y compris des manœuvres orbitales, pendant plusieurs mois. Une véritable démonstration en orbite est une étape clé pour la commercialisation de notre moteur. D’ailleurs, SpaceTy a d’ores et déjà commandé plusieurs de nos moteurs pour leur prochaine constellation « Synthetic Aperture Radar » qui permettra de créer des reconstruction 2D et 3D de paysages et de villes grâce à un radar.
- 1CNRS/École polytechnique/Sorbonne Université.
- 2Le Comité inter-agences de coordination des débris spatiaux, qui réunit les principales agences spatiales du monde, a proposé en 2002 des règles de bonne conduite concernant les satellites en fin de vie : ceux-ci doivent rejoindre une « orbite de rebut » peu utilisée aujourd’hui par les scientifiques et industriels, ou bien subir une désorbitation qui garantit leur destruction dans l'atmosphère.
- 3D’après Euroconsult, le principal cabinet de conseil mondial spécialisé dans les marchés spatiaux, plus de 7000 petits satellites, la plupart en constellations, devraient être lancés sur la période 2018-2027, soit un marché de 38 milliards de dollars. Moins de 3000 satellites sont actifs aujourd’hui.