Hugo Duminil-Copin, lauréat de la médaille Fields !
Le mathématicien français fait partie des quatre lauréats de la plus prestigieuse récompense de sa discipline, annoncés ce matin en direct du Congrès internat
Avec 8 médaillés Fields sortis de ses rangs depuis sa création, l’Institut des Hautes Études Scientifiques (IHES) à Bures-sur-Yvette est une des institutions les plus reconnues au monde en mathématiques. Visite de cet établissement hors du commun avec son directeur, Emmanuel Ullmo.
Le mathématicien Hugo Duminil-Copin, professeur permanent depuis 2016 à l’Institut des Hautes Études Scientifiques, vient de remporter la très prisée médaille Fields, la plus haute récompense en mathématiques. Quelle a été votre première réaction ?
Emmanuel Ullmo1 : Nous sommes extrêmement fiers et heureux pour lui. Hugo Duminil-Copin est un probabiliste qui a été recruté à 31 ans à l’IHES. Il laissait déjà entrevoir sa capacité à aller encore plus loin dans ses travaux, qui portent sur la branche mathématique de la physique statistique. Il a accumulé les résultats de premier plan, a un charisme reconnu dans la communauté qu’il tire avec lui. C’est un grand scientifique par sa production et sa personnalité : il inspire énormément en étant très généreux de son temps et de ses collaborations. Cette médaille est largement méritée.
C’est donc un médaillé de plus à l’IHES qui compte parmi les institutions ayant le plus de médailles Fields au monde. Comment présenteriez-vous cet institut ?
E. U. : Véritable havre de paix situé au sein d’un superbe domaine boisé à Bures-sur-Yvette dans l’Essonne, l’IHES est un petit institut composé actuellement d’un collège de six professeurs permanents de plus haut niveau mondial. Parmi les 12 professeurs, en mathématiques, recrutés à l’IHES depuis sa création en 1958, 7 avaient déjà reçu la médaille Fields et 3 le prix Abel2 ! Pour ses recrutements, l’IHES mise sur des scientifiques en devenir – avec un âge moyen de recrutement autour de 31 ans - pour lequel nous devinons un fort potentiel.
L’institut accueille également des chercheurs de haut niveau au sein de son Laboratoire Alexander Grothendieck (une unité mixte de recherche CNRS/IHES), des postdoctorants et des doctorants de l’Université Paris Saclay. Nos scientifiques sont très attachés à l’institut et beaucoup vont faire de très longs séjours dans nos murs, voire toute leur carrière. Lorsque nos professeurs permanents partent à la retraite, ils conservent un bureau à l’IHES : c’est par exemple le cas du mathématicien Mikhail Gromov, lauréat du prix Abel en 2009.
L’IHES a également un programme de visiteurs très développé et accueille 200 scientifiques internationaux par an - pour des séjours de deux mois et demi en moyenne – qui disposeront de logements et de bureaux pour tout leur séjour. Ce programme est très souple et nous n’attendons rien en retour de nos invités. L’objectif est d’attirer les gens qui ont produit une science nouvelle et originale pour qu’ils puissent discuter directement avec leurs pairs et expliquer leur démarche – une méthode bien plus efficace que la lecture de publications.
Comment fonctionne votre processus de sélection ?
E. U. : Il n’y a pas d’appel d’offres pour ce qui est des postes de professeurs permanents. Le Conseil Scientifique de l’Institut cherche en permanence à identifier les chercheuses et chercheurs les plus prometteurs en mathématiques et physique théorique, et effectue un processus d’examen rigoureux avant de faire une offre définitive. Mais le salaire reste notre difficulté principale face à la compétition internationale. Pour autant, plusieurs ont fait le choix de nous rejoindre, en sachant qu’ils auront une liberté totale, qu’ils seront déchargés de contraintes administratives et qu’ils pourront s’entourer d’une équipe. Ce sont des attraits qui se savent dans la communauté et qui font notre renommée. Le cadre de vie qu’offre notre magnifique institut au sein d’un domaine boisé, ainsi que la proximité de l’écosystème de l’Université Paris-Saclay, sont évidemment aussi des facteurs d’attractivité.
Nous recevons également des candidatures de visiteurs et de post-doctorants, sur lesquelles le Conseil Scientifique statue deux fois par an. L’IHES est très attractif, et il l’est encore plus dans les domaines qui sont ceux de nos scientifiques, comme par exemple la géométrie algébrique, très caractéristique de l’Institut.
L’IHES est membre fondateur de la nouvelle Université Paris-Saclay, qui a pris sa forme actuelle en 2019. Que vous apporte ce nouveau partenariat ?
E. U. : Il est très bénéfique à de nombreux niveaux. Par exemple en nous donnant une visibilité internationale : l’ARWU—le fameux « classement de Shanghai » a classé l’Université Paris-Saclay au premier rang mondial en mathématiques pour deux années consécutives en 2020 et 2021. La collaboration offre également plus de possibilités aux professeurs pour encadrer des thèses en collaboration avec les écoles doctorales telles que l’École doctorale de mathématiques Jacques Hadamard ou l’École Doctorale Physique Ile-de-France. Nous avons également accentué les partenariats en organisant des évènements comme des « Lectures », qui sont désormais des rendez-vous attendus et prestigieux, des séminaires ou encore la rentrée des masters et des écoles doctorales.
Comment se situe l’IHES au sein de la communauté internationale ?
E. U. : L’institut est un objet particulier. Il a été fondé sur le modèle de l’Institute for Advanced Study à Princeton aux États-Unis – même si cet institut inclut plus de disciplines que nous. Pour autant, cette dimension interdisciplinaire n’est pas absente de l’IHES où il existe une vraie interaction entre mathématiciens et physiciens. Seul un petit nombre d’autres instituts à l’étranger, tel que le Korea Institute for Advanced Study à Séoul, a un mode de fonctionnement comparable au nôtre.
En France, le CIRM3 et l’Institut Henri Poincaré vont proposer une offre différente avec respectivement des grandes conférences pour l’un et l’organisation de trimestres thématiques pour l’autre. Mais contrairement à l’IHES, ces deux institutions n’ont pas de laboratoires. Nous faisons tous les trois partie du Labex4 Carmin – avec le Centre International de Mathématiques Pures et Appliquées (CIMPA) – qui visait à créer l’équivalent d’un grand instrument en mathématiques. Une retombée de ce Labex est la création de carmin.tv, une plateforme de diffusion audiovisuelle pour les mathématiques et ses interactions avec d’autres sciences, qui va favoriser les échanges au sein de la discipline, tout en participant de la science ouverte.
Vous dirigez cet institut depuis neuf ans maintenant, comment a-t-il évolué ?
E. U. : Nous avons développé plusieurs chantiers, déjà au niveau des contrats. Les post-doctorants étaient considérés comme des visiteurs et à ce titre, ils n’étaient pas salariés de l’Institut, ce que nous avons désormais modifié. Nous proposons également de nouveaux types de poste de professeur junior sur cinq ans, très bien payés et très prestigieux. La probabiliste chinoise de premier plan Yilin Wang a rejoint l’IHES cette année grâce à ce type de contrat. Comme indiqué précédemment, nous avons accentué nos interactions avec l’Université Paris-Saclay, et également développé notre programme évènementiel avec, par exemple, les écoles d’été, au cours desquelles un comité scientifique d’experts réunit une centaine de jeunes chercheurs et chercheuses à l’IHES pour dresser l’état de la recherche sur un domaine particulier. Un modèle très prisé par les organisateurs et les participants.
Nous travaillons également à promouvoir la diversité et l’inclusion avec par exemple l’adoption d’une Charte Éthique au sein du Conseil Scientifique. Au cours de mon mandat, le Conseil Scientifique s’est enrichi de l’arrivée de trois excellentes mathématiciennes à l’Institut (Fanny Cassel, directrice de recherche CNRS, Laure Saint-Raymond, première professeure permanente de l’IHES et Yilin Wang). Nous avons également de nombreux projets pour l’avenir et travaillons à renforcer encore notre attractivité, notamment en vue de recruter de nouveaux professeurs permanents.
Quelle est votre regard sur la place des mathématiques françaises dans le monde ?
E. U. : Les mathématiques académiques françaises continuent de très bien se porter. Le classement de Shanghai, par exemple, place respectivement les universités Paris-Saclay et Sorbonne Université au premier et troisième rang en 2021. Il y a une vraie concentration de mathématiques du plus haut niveau en France avec une grande richesse également au sein des laboratoires de province. Nous sommes une des nationalités qui compte les plus de médaillés Fields. Cela démontre une vraie tradition des mathématiques au plus haut niveau. Mais il faut tout de même souligner la dichotomie entre les mathématiques académiques d’excellence et les mathématiques scolaires pour lesquelles le pays est à la traine. Peut-être existe-t-il un manque de scientifiques dans l’entourage des responsables politique qui pousseraient ces préoccupations ?
Le mathématicien français fait partie des quatre lauréats de la plus prestigieuse récompense de sa discipline, annoncés ce matin en direct du Congrès internat