Un Club Europe ralliant le CNRS et ses partenaires industriels
Le CNRS lance un « think tank » avec de nombreux industriels pour aborder en commun le nouveau programme cadre de recherche Horizon Europe, son orientation et ses financements.
« L'idée nous est venue au printemps dernier », explique Carole Chrétien, qui pilote la Direction des relations avec les entreprises (DRE) du CNRS. « Nous voulions créer un Club Europe afin de réunir les partenaires industriels de l’organisme, mais aussi d’autres entreprises que nous connaissions moins ». Avec pour objectif de développer « une approche multilatérale » de l’Europe de la recherche et mieux se positionner vis-à-vis des appels d’offres collaboratifs de son nouveau programme cadre Horizon Europe, doté d’un budget global de près de 100 milliards d’euros (voir encadré).
Lancé en début d’année, le Club Europe se réunit une fois par trimestre au siège de l’organisme à Paris – en hybride dû aux restrictions sanitaires – et regroupe déjà une quinzaine de membres, comme Air Liquide, Michelin, Thalès et d’autres partenaires qui travaillent déjà « en bilatéral » avec le CNRS depuis de nombreuses années, indique Pierre Roy, responsable Europe et financements publics collaboratifs de la DRE.
Les projets collaboratifs, un enjeu majeur
L’objectif principal est d’encourager la collaboration pluridisciplinaire et entre différents acteurs. Le CNRS, « bien intégré » dans le paysage industriel français, travaille aujourd’hui avec une vingtaine de grands groupes et ETI, de nombreuses PME, et produit environ 100 start-up par an. La plupart de ces collaborations se font « en tête à tête », c’est-à-dire que l’entreprise propose et finance un programme de recherche sur le sujet de son choix avec des chercheurs du CNRS. Toutefois, un deuxième type de collaboration plus large existe : l’organisme et l’entreprise travaillent alors ensemble pour répondre à un appel à projet lancé par une agence de financement française – type ANR, ADEME, BPI – ou européenne. Au total, ces collaborations représentent plusieurs dizaines de millions d’euros par an. À travers ce Club Europe, la DRE souhaite dynamiser le financement collaboratif plus large, donc monter davantage de consortiums « plus ouverts ».
Une stratégie sur trois niveaux
À l’occasion de chaque rencontre du Club Europe, un industriel présente sa stratégie européenne. De plus, une thématique plus précise peut aussi être abordée, « comme l’hydrogène, par exemple, à l’ordre du jour de notre prochaine réunion », ajoute Pierre Roy. Il s’agit de développer une stratégie « sur trois niveaux » afin de mieux se positionner vis-à-vis des appels à projets existants, des programmes de travail de la Commission – arrêtés pour 2 ou 3 ans – et de préparer le programme cadre (PCRD) qui verra le jour en 2027. « Au début, nous pensions qu’il s’agirait surtout d’appels existants, mais nous avons vite compris qu’il fallait dès à présent se coordonner pour que le prochain PCRD aille dans le sens de nos priorités industrielles et de recherches », explique Pierre Roy.
Stratégie du long terme pleinement adoptée par certaines entreprises comme Michelin. « Il ne faut pas commencer dans sept ans, mais maintenant », insiste Colin-Yann Jacquin, responsable des partenariats de recherche pour le Groupe qui pilote une équipe dédiée aux financements européens depuis trois ans. « Notre approche vers l'Europe est assez récente, et il était naturel de nous appuyer sur notre premier partenaire scientifique pour aborder ce monde assez complexe », explique-t-il, rappelant que l’objectif pour le Groupe reste avant tout de construire de nouvelles collaborations, industrielles ou en recherche. Le CNRS a une « expertise reconnue au niveau européen », connait les besoins de « tous les industriels français » et a la « capacité de faire émerger des besoins communs », ajoute-t-il, illustrant ses propos d’exemples concrets comme les polymères ou composites, ou tous les domaines stratégiques émergents, « des sujets amont qui peuvent intéresser beaucoup de monde ».
Trouver des sujets de recherche communs, partager les approches et les bonnes pratiques, voilà l’objectif des grands groupes qui ont rejoint le Club Europe. « Certains d’ailleurs sont parmi les plus gros bénéficiaires privés de fonds européens », explique Pierre Roy. « Mais beaucoup cherchent des compétences connexes à travers les projets collaboratifs. Pour les grandes entreprises dans le domaine de l’énergie, par exemple, le besoin vital de se tourner vers les énergies renouvelables les obligent à trouver des nouveaux partenaires industriels et de recherche pour mieux anticiper les technologies de demain », ajoute-t-il.
Et d’autres acteurs s’y intéressent déjà, à l’image d’AENEAS, une association industrielle à but non lucratif, qui œuvre pour stimuler la recherche et l’innovation dans le domaine des composants et systèmes électroniques. Celle-ci regroupe plus de 400 PME, grands groupes, ETI et organismes de recherche à travers toute l’Europe. « Notre rôle, entre autres, est de faciliter l’accès aux financements européens, en particulier en représentant l’industrie dans un partenariat public-privé, et de rassembler des acteurs autour de projets collaboratifs, une expertise que nous souhaitions partager », explique Patrick Cogez, son directeur technique, ajoutant que le poids d’un partenaire scientifique comme le CNRS peut jouer dans la réussite de certains projets. « L’organisme pourrait être encore plus présent sur des projets plus proches de l’industrie comme ceux du KDT (Key Digital Technologies) ou les clusters EUREKA », insiste-t-il, « car les chances de réussite et l’impact ultérieur, économique et sociétal sont en effet accrus lorsqu’ils intègrent un solide apport scientifique comme celui du CNRS. »
Jean-Luc Moullet, Directeur général délégué à l'innovation du CNRS, se félicite déjà du pari gagné de cette stratégie européenne partagée alliant recherche publique et monde industriel, « des échanges de confiance, qui permettent d’envisager la construction de démarches communes vis-à-vis de la Commission européenne, ainsi que le montage de projets collaboratifs ».
Toutes les recherches mènent à Bruxelles
« Le CNRS connait très bien l’Europe de la recherche », explique Pascal Dayez-Burgeon, directeur du bureau du CNRS à Bruxelles. L’excellence scientifique, l’expertise des montage de projets, les stratégies d’influence … « tous ces aspects intéressent nos partenaires industriels », ajoute-t-il. Le CNRS a été le premier bénéficiaire des fonds européens alloués par le programme Horizon 2020 avec 1,2 milliard d’euros, « dont 75 % sur le pilier I (excellence scientifique), et 25 % répartis entre les pilier II (primauté industrielle) et III (défis sociétaux) », rappelle-t-il, ce qui laisse à espérer des résultats tout aussi encourageants pour le programme cadre Horizon Europe, qui vient d’entrer en vigueur.
Dans celui-ci, 56 % du budget sont alloués aux projets collaboratifs – soit 53,5 milliards d’euros – axés sur les grands enjeux de société (climat, santé, numérique, espace, énergie, mobilité ou sécurité) et la compétitivité industrielle européenne. Ces projets doivent inclure au moins trois entités différentes – organismes de recherche, universités et entreprises – issues d’au moins trois États différents. Une concertation renforcée entre le secteur privé et les partenaires de recherche publics représente donc un enjeu vital.