SOS Océan : l’alerte bleue avant l’UNOC
À deux mois de la Conférence des Nations Unies sur l’Océan qui se tiendra à Nice, l’événement SOS Océan a rappelé l’essentiel : l’océan vacille et le temps presse. En posant huit objectifs pour une exploitation durable, la communauté internationale a fixé le cap.
La Tour Eiffel s'est illuminée de bleu, tel un phare au milieu des terres, pour relayer un appel venu des profondeurs : un SOS planétaire. Celui de l’océan qui absorbe nos excès, régule notre climat, nourrit des milliards de personnes — et vacille.
Les 30 et 31 mars 2025, à Paris, scientifiques, diplomates, responsables politiques et militants se sont réunis pour répéter à l’unisson : il est tard, mais il est encore temps. L’événement SOS Océan, organisé à l’initiative de la France, s’est tenu à deux mois de la Conférence des Nations Unies sur l’Océan (UNOC-3), prévue à Nice en juin prochain. Son objectif ? Rappeler, science à l’appui, les enjeux prioritaires à la préservation de l’océan.
Un appel à l’action pressant
Un vent d’impatience a soufflé au Musée de la Marine pendant ces deux jours. Car si les constats sont largement partagés, les décisions tardent à suivre. Pour António Costa, président du Conseil européen, l’océan reste le grand oublié de l’agenda climatique, alors même qu’il en est le pilier. « Nous ne pouvons pas être la génération qui a détourné le regard, a-t-il déclaré. L’océan est un bien commun de l’humanité. Il est temps d’agir ».
L’ancien vice-président américain Al Gore a, lui, livré un plaidoyer rageur documenté par les faits scientifiques. Il rappelle que l’acidité de l’océan a augmenté de 30 %, et que le plastique, omniprésent, s’infiltre jusque dans nos cerveaux. Les solutions, dit-il, existent, mais les lobbies fossiles dominent encore l’agenda politique. La meilleure réponse ? « Nous devons construire une relation durable avec l’océan, qui ne peut se faire qu’en rassemblant politiques, scientifiques, environnementalistes et acteurs économiques autour d’une même exigence : celle de la science et de la connaissance», défend Olivier Poivre d’Arvor, ambassadeur pour les pôles et les océans.
Une feuille de route à construire sur les fondations existantes
La recherche est unanime : les connaissances scientifiques et les solutions actuelles sont suffisantes pour agir en faveur de la préservation de l’océan. « Par contre, pour le moment, les actions sont très insuffisantes », affirme Jean-Pierre Gattuso, océanographe au CNRS et co-pilote, avec François Houllier (Ifremer), du congrès scientifique One Ocean Science qui aura lieu quelques jours avant l’UNOC-3 à Nice. Elles sont pourtant synonymes de succès : retour du thon rouge en Méditerranée et augmentation de la population de baleines à bosse dans le Pacifique, durabilité de l’exploitation de la coquille Saint-Jacques, etc. « Il faut capitaliser sur ces réussites et renforcer les mécanismes existants. Or, la seule façon d’attaquer un enjeu aussi global que celui de la préservation de l’océan, c’est le multilatéralisme », appuie Jean-Pierre Gattuso.
Pour cause, malgré des oppositions accrues, le multilatéralisme environnemental s’est renforcé ces dernières années autour de traités et d’objectifs structurants. On peut citer les rudes négociations pour un traité international contre la pollution plastique, le traité sur la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité marine en haute mer (BBNJ), la mise en œuvre des Objectifs de développement durable (notamment l’ODD 14 sur l’océan) ou encore les discussions à l’Organisation maritime internationale sur la décarbonation du transport maritime.
Tous ces enjeux figurent parmi les huit objectifs fixés par le Président pour guider l’UNOC-3. Dans son discours de clôture, Emmanuel Macron a également insisté sur la protection de 30 % de l’océan d’ici 2030 via des aires marines protégées, ou encore sur la promotion d’une pêche durable respectueuse des écosystèmes.

Ces deux ambitions contrastent néanmoins avec certaines réalités nationales qui interrogent. Les ONG ont renforcé leur campagne contre l’autorisation du chalutage de fond dans les aires marines protégées (AMP) françaises. Cette technique de pêche, qui consiste à traîner de lourds filets sur les fonds marins, détruit au passage les habitats fragiles comme les coraux, les éponges ou les herbiers. Or, une AMP est censée préserver la biodiversité marine, restaurer les écosystèmes et garantir la durabilité des usages - ce qui suppose d’y interdire les pratiques destructrices. Pour Jean-Pierre Gattuso, une certitude : « Les scientifiques sont unanimes, une AMP doit être 100 % protégée, sans cas par cas ».
La science tire la sonnette d’alarme
Deux rapports ont été rendus publics pendant l’événement, chacun éclairant un pan majeur de la gouvernance maritime actuelle : les grands fonds et l’économie bleue.
Le premier, coordonné par l’OCDE, dresse un panorama inédit de l’économie océanique. Si l’océan était un pays, il représenterait la cinquième économie mondiale. Tourisme, transport, extraction offshore : l’économie bleue a doublé en 25 ans. Le rapport appelle à renforcer la gouvernance, promouvoir l’innovation, améliorer les données d’observation et intégrer les pays du Sud dans les chaînes de valeur.
L’autre livrable est un rapport porté par le Panel international pour la durabilité de l’océan (IPOS)1 à la demande de la France. Il concerne l’exploitation minière des grands fonds marins. Alors que certains pays accélèrent leurs projets d’extraction, et que des entreprises défient ouvertement les cadres multilatéraux, l’absence de règles claires et le vide juridique autour des fonds marins internationaux font peser un risque majeur sur ces écosystèmes.
Bruno David, coordinateur du rapport et ancien président du Muséum national d’Histoire naturelle, rapporte la conclusion principale de cette étude : « Les connaissances sont aujourd’hui insuffisantes pour évaluer les conséquences d’une exploitation minière, y compris sur le cycle du carbone. Un moratoire de 10 à 15 ans a donc été préconisé, au nom du principe de précaution ». À Nice, le défi sera désormais d’en faire un engagement collectif.
« Jouer notre rôle de conseil »
« Les objectifs annoncés montrent une convergence entre les priorités scientifiques et les priorités politiques. Maintenant, nous allons continuer à jouer notre rôle de conseil, d’établir et transmettre la réalité scientifique en perpétuelle évolution », souligne Jean-Pierre Gattuso. Ce lien entre science et diplomatie fait écho aux dix thèmes portés par le congrès One Ocean Science (OOS), qu’il coorganise pour le CNRS et qui se tiendra juste avant l’UNOC-3.
« Le CNRS a joué un rôle essentiel dès le départ en s’engageant dans la création du premier congrès scientifique jamais adossé à une conférence des Nations Unies, mais aussi sur des outils scientifiques de suivi de l’océan comme l’index Starfish, notre futur baromètre de l’océan qui sera introduit en juin », ajoute Olivier Poivre d’Arvor. À Nice, le congrès OOS remettra aux décideurs participant à l’UNOC-3 une liste de recommandations.
Cette connexion essentielle entre science et décision, Emmanuel Macron l’a particulièrement mise en exergue à la fin de son discours. « Aucune action sur l’océan ne devrait se faire sans l’éclairage de la science », a-t-il martelé, en exprimant son soutien pour une recherche libre, indépendante et solidement financée. Une déclaration forte, dans un contexte où la science est de plus en plus contestée.
« Ce qui est très compliqué pour le climat ou la géopolitique ne l’est pas forcément pour l’océan. Le restaurer, le régénérer, le traiter comme un objet vivant : les solutions existent. J’ai bon espoir que l’océan fasse l’objet d’un consensus mondial à Nice, et que l’UNOC-3 soit un véritable point de bascule », conclut Olivier Poivre d’Arvor.
- 1Coprésidée par la biologiste et océanographe Françoise Gaill et la juriste Tanya Brodie Rudolph, experte en droit de l’environnement et gouvernance océanique, l’IPOS a pour ambition de combler le fossé entre les engagements politiques et les actions concrètes, en s’appuyant sur les apports de la science.
Huit priorités pour préserver l’océan
Protéger 30 % de l’océan d’ici 2030 : atteindre 12 % à 15 % de protection de l’océan via des aires marines protégées d’ici l’UNOC-3.
Mettre un terme à la pollution plastique : réduire drastiquement les déchets en mer et poursuivre les négociations sur le traité international contre la pollution plastique.
Promouvoir une pêche durable respectueuse des écosystèmes : lutter contre la pêche illégale, illicite et non déclarée et mettre fin aux subventions qui l’encouragent via un accord international.
Décarboner le transport maritime : développer des carburants propres, électrifier les ports et atteindre la neutralité carbone d’ici 2050.
Renforcer la coopération internationale pour une gouvernance efficace de l’océan : créer une coalition des villes et régions affectées par la montée des eaux et promouvoir un Pacte européen pour l'océan.
Mobiliser de nouveaux financements pour construire une économie bleue durable : investir dans le tourisme bleu, l’énergie, la régénération, la biotechnologie, la propulsion par le vent, les ports et la pêche durable.
Faire entrer en vigueur le Traité international pour la protection de la haute mer et de la biodiversité marine (BBNJ) : 112 États ont signé ce traité, 21 pays l’ont ratifié, dont la France. L'objectif est d'atteindre au moins les 60 ratifications pour son entrée en vigueur.
Défendre la science et soutenir la recherche pour mieux comprendre l’océan et créer le meilleur cadre pour le protéger : maintenir un financement solide de la recherche, pour que les faits établis permettent de changer les pratiques.