Recours aux animaux : le CNRS signe une charte de transparence
Parmi 30 signataires, le CNRS s’engage à mieux informer le grand public sur les raisons et les évolutions de l'utilisation d’animaux à des fins scientifiques.
« Malgré les efforts faits par les communautés scientifiques, la réserve de l’opinion publique envers l’utilisation des animaux dans la recherche reste forte. », indique le vétérinaire Ivan Balansard, à la fois chargé de mission éthique et modèles animaux au CNRS et président du Groupe interprofessionnel de réflexion et de communication sur la recherche (Gircor). Une opposition liée principalement à un manque de connaissances, « porte ouverte à tous les fantasmes », d’après un sondage1 commandé en 2015 par le Gircor, association sans but lucratif fondée en 1991 qui informe le public sur la recherche animale et aide sa quarantaine d’adhérents, dont le CNRS, à communiquer sur ces questions. C’est pourquoi l’association a proposé une charte de transparence que le CNRS signe ce 22 février 2021 avec 29 autres organismes de recherche, groupes pharmaceutiques et autres établissements français utilisant des animaux à des fins scientifiques.
Alors que la communauté scientifique s’interroge sur la communication autour du Covid-19 et des vaccins, cette proposition initiée par le Ministère de la Recherche de l’Enseignement supérieur et de l’Innovation paraît indispensable, bien que, précise Ivan Balansard, cette charte « n’est pas de la communication, mais de l’information », à destination principalement du grand public. Elle est ainsi une suite logique des démarches engagées pour être plus responsable et plus respectueux des animaux utilisés.
Des scientifiques investis
Pour les laboratoires, il s’agit de préciser la part des modèles animaux dans les résultats de recherche, dans tout communiqué de presse ou article publié, aussi bien que de présenter la nécessité des modèles animaux et les conditions dans lesquelles ils sont autorisés lors, par exemple, de la Semaine du cerveau ou de la Fête de la science. Une démarche bienvenue pour la plupart des scientifiques qui « veulent se dégager de ce silence que nous nous sommes imposé pendant trop longtemps et qui a permis à de fausses informations de circuler ». Ces informations fausses, exagérées ou simplement dépassées renvoient en effet une « image déformée très injuste » à des chercheurs et chercheuses qui ont multiplié les efforts pour remplacer, réduire et raffiner les expérimentations animales (voir encadré).
Malgré tout, cet engagement à plus de transparence peut représenter un « changement culturel » pour certains signataires. « Pour l’Inrae qui pratique l’expérimentation aussi sur des espèces d’élevage, le sujet est sensible et appliquer cette charte sera un véritable challenge. Mais nos équipes présentent une vraie volonté de dialoguer avec la société », témoigne Hervé Juin, chargé de mission sur l’utilisation d’animaux à des fins scientifiques pour l’institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae).
Avec la réglementation très exigeante et l’encadrement strict qui sont en place, « les scientifiques peuvent assumer », confirme Ivan Balansard. Au CNRS, des actions en ce sens ont déjà été prises depuis plusieurs années : une page dédiée à la recherche animale, avec un compte du nombre d’animaux utilisés dans les laboratoires, est ainsi accessible immédiatement sur le site institutionnel. Une visite virtuelle d’une animalerie est disponible et aurait inspiré nos voisins européens, et le film didactique « Les animaux pour faire avancer la recherche » date de fin 2019. « Déjà sensibilisé », le CNRS a donc embrassé « avec conviction » cette démarche volontaire.
Celle-ci fait écho à des initiatives similaires en Europe2 : l’accord « Concordat on Openness on Animal Research » signé en mai 2014 en Angleterre a servi de modèle pour l’Espagne (2016), le Portugal (2018) et la Belgique (2019). « En termes de recherche fondamentale et biomédicale, la France a une place majeure en Europe : il était donc important que les institutions françaises se positionnent rapidement sur la question », assure le chercheur qui espère un « mouvement européen ». Avec un recul de quelques années, l’accord anglais aurait ainsi permis de « rééquilibrer les débats » en permettant aux scientifiques, jusque-là peu sollicités face aux militants activistes, de « donner des faits ».
Une démarche collective
En pratique, un logo, vu comme un label, permettra aux organisations signataires, ainsi qu’aux laboratoires qui en dépendent, de se prévaloir de cette volonté d’ouverture : « signer, c’est s’engager », rappelle Ivan Balansard. Surtout, un bilan annuel, qui se veut un « rendez-vous avec le grand public », montrera l’ensemble des efforts menés chaque année par les organismes qui signent la charte.
« Cette synthèse annuelle du Gircor sera une illustration forte de l’engagement des signataires », assure Brigitte Rault, référente éthique et modèles animaux à l’Inserm, un « partenaire privilégié du CNRS pour la recherche animale » qui partage ses efforts d’affichage clair, selon Ivan Balansard. Un réseau de référents scientifiques sur l’expérimentation animale est en place dans les délégations régionales des deux organismes, afin d’aider les communicants à mieux répondre aux sollicitations des médias par exemple.
Selon la vétérinaire, signer cette charte avec le CNRS permet d’afficher un « discours commun cohérent auprès des unités mixtes », mais la démarche est surtout une « dynamique de l’ensemble de la communauté scientifique nationale » issue de la recherche académique comme privée. « Nous partageons les données sur notre recours à des animaux et les approches alternatives que nous utilisons depuis plusieurs années sur notre site internet, il s’agit même d’un indicateur officiel dans notre rapport d’activité annuel, mais la signature de cette charte par les principaux acteurs français crée une nouvelle dynamique », ajoute le vétérinaire Thierry Decelle, responsable de la protection animale du groupe Sanofi. Celui-ci reportera l’accord de transparence dans les huit pays dans lesquels il opère.
« La force de la charte repose sur son nombre d’adhérents qui couvrent tout le monde de la recherche », confirme Ivan Balansard. Un processus qui ne s’arrête pas au 22 février, loin de là. La Conférence européenne sur les modèles alternatifs a lieu ces deux prochains jours et le Gircor espère obtenir bientôt de nouveaux signataires : « Pour que cette démarche soit acceptée par tous, les établissements reconnus comme phare qui y adhèrent aujourd’hui doivent être moteurs », affirme le chargé de mission, afin de provoquer une dynamique qui soit un « cercle vertueux de communication ».
- 1Sondage Ipsos : une large majorité des répondants reconnaît mal connaître les niveaux de recours à l’expérimentation animale (82 %), les conditions de vie des animaux (83 %), ainsi que les espèces utilisées (76 %).
- 2Le Gircor est membre de l’European Animal Research Association (EARA) qui encourage ces mouvements d’ouverture partout en Europe.
Une recherche plus responsable et de meilleure qualité
Utiliser au mieux les animaux que l’on ne peut remplacer, avec respect et en prenant en compte leur bien-être : voilà ce que s’efforce d’accomplir les chercheurs et chercheuses. Car, même si les méthodes in vitro (sur cellule) ou in silico (modélisation informatique) jouent un rôle important dans de nombreux projets de recherche, l’utilisation de modèles animaux reste à ce jour la seule manière de comprendre et de reproduire les interactions multiples au sein d’un organisme vivant.
Une réglementation stricte exigeant un niveau élevé de protection pour les animaux utilisés, a été mise en place au niveau européen dès 1986 et renforcée par la directive 2010/63, transposée en France en février 2013. Elle s’appuie sur la règle des 3R : remplacer, réduire, raffiner. « Contraignante » selon Ivan Balansard, cette démarche éthique est toutefois « acceptée et comprise par la communauté scientifique dans sa grande majorité » et reste en phase avec l’évolution de la perception de la place de l’animal dans la société.
Tout projet de recherche qui inclut le recours à l'expérimentation animale3 doit faire l'objet d'une évaluation favorable délivrée par un comité d'éthique agréé. Il doit obtenir une autorisation délivrée par le Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. La règle des 3R « amène les scientifiques à se poser des questions précises sur leurs protocoles, afin de les optimiser, ce qui conduit aussi à une meilleure qualité de la science, notamment au niveau de la communication des résultats et de la reproductibilité des expériences ».
Les données montrent une diminution de plus de 20 % de l’utilisation d’animaux en Europe entre 2008 et 2017. « Aucun scientifique ne préférerait revenir en arrière », certifie le vétérinaire.
Les 3R
- Remplacer : aucune procédure impliquant des animaux ne peut être menée s’il existe une méthode substitutive répondant au même objectif scientifique
- Réduire : les protocoles expérimentaux doivent être optimisés pour n’utiliser que le nombre d’animaux strictement nécessaire et le partage des données doit être facilité
- Raffiner : il s’agit d’améliorer autant que possible les conditions d’utilisation, afin de minimiser les contraintes, le stress et la douleur, notamment avec des protocoles
- 3La réglementation protège les animaux vertébrés, comme les poissons, oiseaux et mammifères, mais par exemple pas les insectes. L'utilisation de primates est restreinte et l’utilisation de grands singes (comme les chimpanzés) est interdite en Europe.