Quand les communautés font corps avec leur thématique
Les groupements de recherche (GDR) rassemblent les communautés scientifiques autour de thèmes communs et offrent un cadre privilégié d’échanges au profit de la production de connaissances. En 2024, 32 GDR du CNRS font peau neuve, dont 15 en mathématiques. Zoom sur cet outil qui fait l’unanimité de la recherche française.
L’ère des Groupements de recherche (GDR) est loin d’être révolue. Pour cause, en 2024, le CNRS en soutient 195, toutes disciplines confondues. « Cet outil unique du CNRS a été adopté par toute la communauté scientifique », remarque Virginie Bonnaillie-Noël, directrice de la Direction d’appui aux partenariats publics du CNRS (DAPP). Des universités aux grandes écoles, la recherche française a su s’emparer de cet outil qui rappelle en quelque sorte que la science ne se mène pas seule.
Trois lettres résumées en quelques mots
Les GDR réunissent et structurent pendant une durée générale de cinq ans renouvelable l’ensemble de la communauté scientifique française qui travaille sur une thématique commune, émergente ou structurante. « Sans eux, les actions seraient éparses, plus fermées et certains collègues davantage isolés dans leur laboratoire », souligne Alessandra Sarti, directrice adjointe scientifique en charge des GDR pour CNRS Mathématiques.
En pratique, ces réseaux thématiques sont proposés par les chercheurs, validés par la Direction générale déléguée à la science (DGDS) et financés par les instituts. Pas d’obligation de livrables, pas d’attente institutionnelle si ce n’est un rapport annuel. Bref, juste un outil soutenant une recherche au service de la recherche. Pour les plus anciens GDR encore en activité, l’aventure a commencé en 1998. Ils traitent notamment des liens entre informatique et mathématiques ou encore des réseaux et systèmes distribués. « Les GDR sont généralement renouvelés tant que l’intérêt des communautés persiste. Leur longévité est aussi l’illustration de groupes dynamiques qui évoluent avec leur objet de recherche », décrit Virginie Bonnaillie-Noël.
L’océanographe et directeur du GDR Océan et mers (OMER), Fabrizio D’Ortenzio, chante les louanges des réseaux thématiques : « C’est un système de collaboration très flexible. Le dossier est facile à monter et la charge administrative est faible, ce qui nous permet de nous concentrer sur l’animation de la recherche. Il facilite également le montage de projets interdisciplinaires». En 2024, l’attrait pour les GDR reste fort, en témoignent les 32 groupements renouvelés et les 29 nouvellement créés.
Mathématiques : une nouvelle équation à 15 GDR
En 2024, les mathématiques représentent à elles seules la moitié des GDR renouvelés par le CNRS. Un chiffre loin d’être anodin, puisqu’il représente la presque totalité (15) de ses GDR qui passent de 29 à 16. « Cette réorganisation va nous permettre de mieux les accompagner, d’augmenter leur visibilité, mais aussi de créer une synergie nouvelle au sein de l’institut », explique Alessandra Sarti. Dans la perspective de faire rayonner les mathématiques, les porteurs de GDR seront ainsi des points de contact à même d’orienter leur institut vers les bons interlocuteurs au sein d’une communauté mathématique florissante.
Mais attention, la réduction du nombre de GDR n’a pas réduit l’ampleur de leur spectre thématique. Les nouveaux réseaux sont volontairement plus larges afin de couvrir les grandes branches universelles du domaine comme l’analyse, l’algèbre, la géométrie ou encore les probabilités. Ils s’attaquent à des problèmes aussi bien fondamentaux qu’appliqués en interaction avec la physique et l’informatique. Enfin, ils s’ouvrent à des enjeux plus récents à l’image du GDR Mathématiques de l'aléatoire pour le risque qui concernent notamment le hasard et les aléas dans notre société.
« L’histoire nous a montré que les méthodes mathématiques ne sauraient se limiter à leur sous-discipline. Il faut donner l’occasion aux mathématiciens de se rencontrer, de partager leurs méthodes », insiste Alessandra Sarti. Cette refonte est donc aussi l’opportunité pour CNRS Mathématiques d’assurer un suivi personnalisé, de recueillir les retours d’expérience et d’organiser des journées d’échange de bonnes pratiques entre les responsables de GDR. Car, finalement, ces projets sont aussi l’occasion de voir éclore des liens que personne n’aurait imaginés possibles.
Naviguer dans l’océan de l’interdisciplinarité
Si vous demandez à un écologue et à un archéologue de définir l’océan, vous obtiendrez deux réponses différentes. Qu’en est-il d’autres concepts comme « littoral » ? Ou « grands fonds marins » ? Au sein du GDR OMER, des chercheurs de tous bords sont confrontés régulièrement à des divergences de définition, mais cela ne les empêche pas de mener une recherche multidisciplinaire de grande envergure. « Je vois OMER comme une bulle d’effervescence qui laisse s’exprimer une des principales passions des chercheurs, à savoir : se creuser la tête et ouvrir des frontières de réflexions nouvelles », témoigne Fabrizio D’Ortenzio.
Lancé en 2021 sous l’impulsion de la Mission pour les initiatives transverses et interdisciplinaires (Miti) du CNRS, OMER est désormais riche de 1 400 membres et s’appuie sur 13 groupes de travail. Mais comment parvient-il à garder un cap interdisciplinaire ? « Historiquement, chaque discipline a développé des méthodes et des approches d’animation qui lui sont propres. Donc, plutôt que de proposer un modèle d’animation unique, le conseil scientifique d’OMER (constitué de 33 experts d’origines scientifiques variées) a su s’adapter aux interfaces des communautés impliquées dans les groupes de travail », explique l’océanographe. Il cite pour exemple les webinaires qui facilitent le dialogue entre les sciences humaines et sociales et les sciences naturelles par exemple sur la conservation des océans. Les workshops font quant à eux des étincelles lorsqu’ils réunissent des expérimentateurs et des théoriciens.
Plus largement, l’étendue des retombées de l’ensemble des GDR est difficilement quantifiable. Bien que leur objectif premier soit l’animation d’une communauté afin de stimuler la production de connaissances, ils sont parfois le berceau de collaborations plus grandes. À Virginie Bonnaillie-Noël de conclure : « Les réseaux thématiques montrent que la science peut avancer sans contrainte à l’image du GDR Solar Fuels qui a joué un rôle structurant dans la création du Programme et équipements prioritaires de recherche (PEPR) Hydrogène ».