Point d’étape sur l’ouverture des publications scientifiques

Institutionnel

Le CNRS a publié sa feuille de route pour la science ouverte autour de cinq piliers : l’ouverture des publications, la gestion et le partage des données de la recherche, le développement des infrastructures numériques, la valorisation des logiciels libres, et la réforme de l’évaluation de la recherche. Le directeur général délégué à la science, Alain Schuhl, revient sur ses principales avancées.

Le CNRS mène une politique dynamique sur l’ouverture des publications scientifiques, pourriez-vous nous en expliquer les raisons ?

Alain Schuhl : La science ouverte consiste à rendre les résultats de la recherche accessibles à tous, dans l’idée que la science constitue un bien commun. En ce qui concerne les publications scientifiques, le mouvement de l’accès ouvert est né au début des années 2000 face au constat que les éditeurs scientifiques contrôlaient la diffusion des travaux produits par les scientifiques : seuls les abonnements permettaient de lire les articles.

En ouvrant les publications scientifiques à la lecture et en donnant accès aux données associées, on favorise les collaborations, on gagne en efficacité collective car les résultats de la recherche publique sont plus transparents et reproductibles. Cela permet de renforcer le lien de confiance entre science et société, d’autant que les résultats scientifiques sont la matière première pour penser le monde de demain. La crise du Covid-19 est un exemple parlant : un vaccin a été produit en un temps record. Cette prouesse a été permise grâce à l’ouverture des résultats scientifiques.

Dans la Feuille de route du CNRS pour la science ouverte publiée, vous affichiez l’objectif de 100 % d’accès ouvert des publications. Qu’en est-il aujourd’hui ?

A. S. : Il faut différencier les publications des chercheurs et chercheuses du CNRS de celles des unités en cotutelle.

Pour les premières, nous avons atteint depuis 2022 un taux d’ouverture de 95 % des publications, rendu possible grâce aux campagnes annuelles de rapports d’activités des chercheurs, où les scientifiques signalent les publications à prendre en compte à partir de l’archive ouverte HAL.

Concernant les publications des unités en cotutelle, nous avons atteint depuis 2021 un seuil stable de 80 %. Il nous reste encore à travailler avec nos partenaires de l’ESR pour augmenter ce taux d’ouverture.

Cela a un coût car les éditeurs remplacent progressivement les abonnements par l’application de frais de publication (APC pour article processing charges) pour publier en accès ouvert. Cette transformation est-elle une bonne chose ?

A. S. : Nous n’observons pas de remplacement des abonnements par les frais de publication qui sont en fait une dépense supplémentaire. Et non seulement les APC vont à la hausse, mais ils sont décorrélés du service rendu par l’éditeur. Ce sont des frais de prestige principalement liés à la notoriété de la revue. En résumé, la recherche est maintenant payée trois fois : une première fois pour être produite, une deuxième pour être publiée et une troisième pour être lue. Clairement, il s’agit d’un modèle économique non-soutenable, comme je le disais l’an dernier.

En conséquence, lire et publier de la littérature scientifique dépendent des capacités financières des opérateurs ou des pays, ce qui accroît davantage les inégalités déjà existantes. Pire encore, ce système auteur-payeur, couplé à la pression à la publication, a permis l’émergence de l’édition prédatrice. Ce développement de la « junk science » engendre une perte de confiance dans la science. Là aussi, la crise du Covid-19 est un exemple parlant : les antivax s’en sont servi

Vous avez évoqué que les abonnements continuent. Pourriez-vous nous en dire plus ? Quelle est la politique du CNRS à ce sujet ?

A. S. : Tant que l’ensemble de la production scientifique ne sera pas en accès ouvert immédiat, les éditeurs continueront de proposer des abonnements. Dès lors, lorsque cela est pertinent, le CNRS renouvelle certains abonnements.

Mais lorsque cela n’est pas trop gênant, le CNRS se désabonne de certaines ressources : en 2019 aux revues de Springer ou plus récemment à la base Scopus. Ces décisions ne sont pas prises à la légère : le sujet est discuté collégialement avec les instituts. Les désabonnements constituent d’ailleurs des signaux politiques forts vis-à-vis des éditeurs car ils indiquent notre volonté de sortir progressivement de leur système. Pour être crédible lors des négociations, il faut être prêt à nous passer de leur service.

Par ailleurs, il y a d’autres modèles d’abonnement, comme le « Subscribe to Open » (S2O). Il s’agit d’aider un éditeur à ouvrir ses revues en continuant de s’y abonner. Dès lors qu’un nombre suffisant d’abonnés est atteint, la revue qui a adopté ce modèle passe alors en accès ouvert sans APC. Le succès de S2O se mesure donc sur le long terme, en fonction des réabonnements des bibliothèques. Le CNRS soutient cette initiative via son abonnement aux revues de l’éditeur Annual Reviews ou aux revues de mathématiques de la société de mathématiques appliquées et industrielles.

La bibliothèque du Rijksmuseum, à Amsterdam
La bibliothèque du Rijksmuseum, à Amsterdam. © Maxime Galliot / Unsplash

Le CNRS, à travers le consortium Couperin dont il est membre, a récemment signé avec Elsevier un accord. Ce type de contrat qui comporte à la fois un volet abonnement et un volet publication en accès ouvert immédiat ne va-t-il pas à l’encontre du positionnement de votre institution ?

A. S. : Depuis quelques années, les accords « transformants » qui consistent à coupler lecture et publication se développent. Certains éditeurs intégralement en accès ouvert proposent aussi des accords de publication simple vu que les abonnements n’existent pas chez eux.  

Que l’on parle d’accord couplant lecture et publication ou de simple accord de publication, l’idée est notamment de contrôler les dépenses d’APC en les centralisant. Cela permet aux chercheurs de ne pas avoir à payer d’APC de manière individuelle ; plusieurs types d’accords de publication sont possibles, que ce soit avec un stock prépayé d’APC ou un forfait pour une publication illimitée. Dans tous les cas, le CNRS y est défavorable avec les maisons d’édition à but lucratif car cela accélère la transition vers ce système auteur-payeur que nous rejetons : lorsque ces accords arrivent à échéance, les prix deviennent encore plus élevés.    

Mais il y a bien le cas Elsevier… qui représente environ un quart des publications scientifiques françaises. Un mandat de négociation a été adopté par le CA du consortium Couperin malgré un vote négatif du CNRS. Un accord allant de 2024 à 2027 a été conclu entre Elsevier et Couperin. Bien qu’il ne corresponde pas à notre politique, le CNRS se doit de rester solidaire avec ses partenaires de l’ESR.

Le CNRS encourage les scientifiques à se tourner vers des modèles de publication vertueux. Pourriez-vous nous faire un panorama des possibilités offertes aux scientifiques ?

A. S. : La première et la plus immédiate des possibilités consiste à utiliser les serveurs de preprints et les archives ouvertes. Ces dernières permettent un archivage pérenne des résultats de la recherche. Le CNRS a été pionnier dans ce domaine avec la création en 2001 de l’archive ouverte HAL : en 2023, HAL a comptabilisé près de 100 millions de consultations à travers le monde.

Au-delà des archives ouvertes, le CNRS soutient la bibliodiversité, en référence à la pluralité des acteurs de l’édition, des formes éditoriales et des langues de communication savante. Ainsi, quand on parle de publications « vertueuses », on parle de publications gratuites à la fois pour les auteurs et pour les lecteurs. Mais ces publications dites « diamant » ne sont pas pour autant gratuites, elles supposent toutes une prise en charge, payée par les institutions publiques.

C’est pourquoi, en plus de l’archive ouverte HAL, le CNRS apporte son soutien financier ou RH à plusieurs plateformes de preprint comme arXiv ou bioRxiv, mais aussi à des plateformes de publications en accès ouvert comme SciPost, le centre Mersenne, OpenEdition et aux plateformes de relecture par les pairs telles que EpiSciences et Peer Community In. Ce soutien a été permis grâce aux économies réalisées à partir de notre désabonnement aux revues de Springer en 2019.

Pourtant, toutes les disciplines ne disposent pas forcément de revues vertueuses.

A. S. : Nous sommes conscients qu’il reste encore beaucoup de choses à faire pour qu’une offre suffisante se développe. C’est un changement de paradigme dans les pratiques de publication des scientifiques, et comme tout changement culturel, cela demande du temps.  

Nous sommes en pleine période de transition et à terme l’objectif sera effectivement que toutes les disciplines disposent de possibilités viables pour que les chercheurs publient en accès ouvert.

Atteindre un tel objectif suppose un changement dans l’évaluation de la recherche, tant dans sa dimension individuelle que dans sa dimension collective (l’évaluation d’un laboratoire, d’une institution, d’un pays). Mais cette réforme ne pourra être réalisée qu’à l’échelle internationale, par l’ensemble des acteurs. Le CNRS y œuvre d’une part en interne via le changement de ses principes de l’évaluation et d’autre part en externe via l’implication dans la coalition COARA (Coalition on advancing research assessment).

Les politiques de science ouverte sont parfois critiquées car elles représenteraient une entrave à la liberté académique des scientifiques, parce qu’elles les empêcheraient de publier dans la revue qu’ils souhaitent. Que répondez-vous à cela ?

A. S. : Mais peut-on parler de liberté académique quand les chercheurs sont coincés dans un système qui les incite à publier dans des revues prestigieuses, au risque de compromettre leur carrière future ? Par ailleurs, peut-on parler de liberté académique quand on oblige les chercheurs à céder entièrement leurs droits de manière exclusive ? Céder exclusivement ses droits à un éditeur scientifique, comme l’exigent les éditeurs à but commercial, conduit à voir sa liberté réduite. À l’inverse, publier en accès ouvert avec une licence Creative Commons permet d’ouvrir des droits d’usage, et donc d’offrir des libertés d’agir.

La France mène une politique volontariste vis-à-vis du développement de l’édition « diamant », ce qui impliquera de dynamiser l’édition scientifique publique. Pourtant, cela risquerait selon certains de mettre en péril l’édition privée, voire à terme d’étatiser l’édition scientifique.

A. S. : Il est ironique que le risque d’étatisation soit pointé par des éditeurs privés, alors même que l’édition scientifique privée repose déjà sur les États qui leur payent les abonnements, les APC, voire des subventions publiques. En France par exemple, les maisons françaises d’édition scientifique bénéficient des aides de l’État via son programme de soutien à l’édition scientifique française

Notre objectif n’est pas de rejeter l’édition scientifique privée de manière manichéenne, ni de nier que publier de la littérature scientifique a un coût, mais il s’agit de ramener le budget que nous y consacrons à son juste montant. Jusqu’à présent les prix ne correspondent pas à un service rendu ou à un coût de production, mais à une mesure de prestige. Ceci est particulièrement le cas avec les multinationales de l’édition comme Elsevier, Springer ou Wiley, qui réalisent depuis des années des profits indécents.

L’édition diamant ne représente à ce jour en France que 10 % des articles parus en 2022 et diffusés en accès ouvert d’après les derniers chiffres du Baromètre de la science ouverte. Le risque d’étatisation est donc très lointain, hautement hypothétique, et du reste, ce n’est même pas l’objectif !

Publier en accès ouvert diamant, c’est-à-dire sans APC pour l’auteur ni paiement de la part du lecteur, n’est pas en contradiction avec le modèle de publication chez un éditeur privé, comme le montre l’exemple Subscribe to Open. Le cas de la revue d’astronomie Astronomy & Astrophysics le montre bien : c’est une revue incontournable de cette discipline, qui est éditée par l’éditeur privé EDP Sciences et qui a basculé en S2O il y a quelques années. 

Par ailleurs, les chercheurs aussi peuvent appliquer la stratégie de non-cession des droits et en cas d’échec avec l’éditeur, il reste dans tous les cas la loi pour une République numérique qui permet le libre accès aux publications issues de la recherche publique française. Les scientifiques peuvent diffuser leur manuscrit auteur accepté au plus tard après une courte période d’embargo de six mois par défaut (jusqu’à douze mois pour les sciences humaines et sociales) et ce quel que soit le contrat avec l’éditeur. La publication ne sera certes pas en accès ouvert immédiat, mais dans tous les cas, il reste cette possibilité-là pour les chercheurs et chercheuses qui ne souhaitent pas payer d’APC.