Où en est la révolution quantique ?
Née au début du XXe siècle, la physique quantique nous a apporté de nombreuses innovations, comme le transistor ou le laser. Ses retombées connaissent une forte accélération ces dernières années, entraînant une course mondiale vers l’avantage quantique. Mais qu’en est-il en France ?
Le développement des technologies quantiques, et en particulier celles liées à l’informatique, s’est accompagné de promesses d’un véritable bond scientifique et sociétal. Il n’est cependant pas toujours facile de s’y retrouver, tant les annonces s’enchaînent dans ce domaine si pointu. Le CNRS et l’Association nationale de la recherche et de la technologie (ANRT) ont coorganisé, fin 2023, un cocktail Innovation offrant un état des lieux sur le thème « Révolution quantique - Horizons et réalités derrière le buzz ».
« La communauté scientifique n’est pas unanime sur le degré de maturité de l’informatique quantique et autres technologies associées », affirme Clarisse Angelier, déléguée générale de l’ANRT. L’avantage quantique, c’est-à-dire le moment où les ordinateurs quantiques résoudront en quelques fractions de seconde des problèmes réclamant des centaines d’années, voire bien davantage, à des machines classiques, sera sans doute atteint un jour. Il reste cependant difficile d’estimer quand cela arrivera.
Introduction à la révolution quantique
En attendant, la physique quantique a déjà abouti à des révolutions technologiques. Elle a en effet profondément bouleversé le XXe siècle, avec des avancées telles que le transistor, le laser, la diode, les horloges atomiques ou encore le GPS. Au XXIe siècle, ces technologies se concentrent beaucoup autour de l’informatique quantique. L’idée est d’employer, au lieu des bits binaires ne pouvant avoir comme valeur que 0 ou 1, des qubits capables de combiner plusieurs valeurs et états en même temps.
« Si l’on prend l’image de la Terre, le monde classique ne décrirait que la position du pôle sud, 0, et celle du pôle nord, 1, explique Pascale Senellart, directrice de recherche CNRS au Centre de nanosciences et de nanotechnologies1 , membre du Conseil présidentiel de la science, co-fondatrice et conseillère scientifique de la startup Quandela. Le monde quantique, lui, donne accès à toutes les informations présentes à la surface du globe. »
La physique quantique comprend en effet des phénomènes complexes et fascinants, qui n’ont parfois aucun équivalent dans notre monde. Dans l’intrication quantique, par exemple, deux particules ou groupes de particules sont liés et chacune voit ses propriétés quantiques dépendre de celles de l’autre. Ce phénomène, qui ne serait pas si surprenant pour des particules mises en contact, a lieu quelle que soit la distance entre elles. Cependant, mesurer la valeur de ces états quantiques détruit cette intrication. Ces propriétés contre-intuitives nourrissent les avancées permises par la physique quantique.
« Nous sommes tous d’accord pour dire qu’une révolution technologique est en marche », poursuit Pascale Senellart. Elle cite d’abord les simulations quantiques des années 80, utilisées pour le développement de matériaux et de médicaments, et l’algorithme de Shor, montrant un exemple possible d’avantage quantique découvert en 1994 pour la factorisation des grands nombres en leurs facteurs premiers. Plus récemment en 2017, les premières communications quantiques à longue distance ont été réussies en Chine, et Google a annoncé, en 2019, un premier cas concret de calcul effectué par un ordinateur quantique qui n’aurait pas été réalisable sur des machines classiques.
Technologies quantiques en France : écosystèmes et start-up
En France, l’écosystème du quantique est organisé autour de forts liens entre des établissements publics de recherche et des startups, souvent fondées par des chercheurs et docteurs issus de ces laboratoires. Une vingtaine de startups et une cinquantaine de brevets sont ainsi sortis de laboratoires sous tutelle du CNRS, ce qui permet de multiplier les approches vers l’avantage quantique. Quandela se concentre par exemple sur les qubits à base de photons, Alice & Bob sur les supraconducteurs, C12 et Quobly respectivement sur le spin de nanotubes de carbone et de semiconducteurs, etc.
« Une recherche de qualité crée un terreau fertile pour l’innovation de rupture, avance Jean-Luc Moullet, directeur général délégué à l’innovation du CNRS. Le CNRS possède une expertise mondialement reconnue, comme l’atteste le prix Nobel de physique 2022 remis à Alain Aspect pour ses travaux sur l’intrication quantique. On a la chance d’avoir un secteur scientifique fort, ainsi que l’œil attentif du gouvernement, qui a investi plus d’un milliard d’euros dans le cadre de sa stratégie nationale d’accélération pour les technologies quantiques. »
Cette stratégie, inscrite au sein de France 2030, implique notamment le Programme et équipements prioritaires de recherche (PEPR) Quantique, piloté par le CNRS, le CEA et Inria. De nombreux défis demandent en effet à être relevés. Le développement des technologies quantiques repose sur plusieurs chaînes de valeurs, c’est-à-dire des suites d’éléments essentiels, en particulier techniques. Leurs maillons sont des composants et des techniques issus de filières comme la photonique, le silicium ou les atomes froids. Or ces éléments ne sont pas tous fabriqués, voire disponibles, en France. Assurer leur approvisionnement représente un véritable enjeu de souveraineté nationale.
Mesurer la puissance quantique : au-delà du nombre de Qubits
Les bonnes métriques doivent également être identifiées. Connaître le nombre de qubits ne suffit pas à comparer deux ordinateurs quantiques, car il faut par exemple savoir combien de qubits parviennent à fonctionner ensemble sur un même calcul. Sur ce point, Welinq travaille sur les communications quantiques entre ordinateurs quantiques afin de mettre leur puissance en parallèle. La capacité de ces systèmes à corriger leurs propres erreurs est aussi cruciale. Ces questions anticipent également le moment où ces machines dépasseront le millier de qubits, ainsi que les passages à l’échelle qui seront nécessaires pour une utilisation industrielle des technologies quantiques.
L’informatique quantique a en effet été longtemps cantonnée à des simulations, car les véritables ordinateurs quantiques ne datent que de seulement quelques années et disposent d’un nombre aujourd’hui limité de qubits. Les formations universitaires dédiées aux techniques actuelles restent donc récentes, avec encore peu d’étudiants formés du master au doctorat dans cette spécialité. Beaucoup de thèses CIFRE ont été financées afin de combler l’énorme écart entre offre et demande, d’autant que les besoins en informaticiens quantiques sont appelés à exploser dans les prochaines années, comme cela s’est produit avec la révolution de l’intelligence artificielle. Diverses entreprises, dont EDF, Air Liquide ou Thalès, s’attachent déjà à former et attirer les meilleurs profils.
Les technologies quantiques vont en effet bouleverser de très nombreux domaines, au-delà du seul calcul haute performance : simulation, conception de nouveaux matériaux et médicaments, télécommunications, cryptographie, imagerie médicale, IA, capteurs extrêmement précis, systèmes de navigation inertielle, etc.
Caducité des protocoles actuels
Enfin, l’avantage quantique implique que les protocoles actuels de cybersécurité et de cryptographie sont voués à devenir caducs. Ils sont en effet basés sur des problèmes mathématiques spécifiquement choisis pour la difficulté qu’ont les ordinateurs classiques à les résoudre. Or les ordinateurs quantiques pourront briser ces protections grâce à l’algorithme de Shor, et ce à relativement court terme.
Toutes ces problématiques rassemblées forment d’énormes enjeux de souveraineté économique et stratégique. La France, grâce aux liens forts entre ses tissus académique et industriel dans le domaine du quantique, investit efficacement pour relever ce défi crucial.
« Nous avons la chance d’avoir, en France, des industriels bien établis sur des technologies classiques, en support des technologies quantiques, se réjouit Neil Abroug, coordinateur national de la stratégie quantique auprès du Secrétariat général pour les programmes d’investissement (SGPI). Les nouvelles start-up viennent compléter ces chaînes de valeur. L’État intervient de son côté en soutenant la recherche fondamentale et technologique. Nous avons ainsi inauguré un programme avec vingt et un établissements d’enseignement supérieur, qui se sont positionnés pour répondre aux besoins de formation, de la licence à la thèse. Enfin, l’État veille à la sécurisation des chaînes de valeur. »
Pour en savoir plus sur l’expertise quantique du CNRS
Pour en savoir plus sur le PEPR d’accélération Technologies quantiques
- 1C2N, CNRS/Univ Paris-Saclay