Recherche : quel cap pour l’Europe ?
Découvrez la série du CNRS sur les enjeux de la recherche européenne.
Portés par l’ambition scientifique et la force du collectif, les projets collaboratifs européens ouvrent un espace d’impact stratégique. Certains scientifiques du CNRS y tirent leur épingle du jeu, démontrant que l’ambition, l’alliance des compétences et un bon accompagnement peuvent transformer un pari risqué en réussite stratégique.
Persévérance et innovation, tels sont les maîtres mots du consortium de douze organisations européennes, coordonné par Carlos Ramos, chargé de recherche CNRS au Centre de nanosciences et de nanotechnologies1 , qui a brillamment abouti à la troisième tentative. Lauréat d’un appel collaboratif du programme pour la recherche et l’innovation de l’Union européenne, Horizon Europe, leur projet intitulé Symphony, a été sélectionné en 2023 et a démarré l’année suivante pour trois ans et demi, avec 5 millions d’euros.
Il consiste à mettre au point des capteurs de gaz intelligents, destinés à équiper de micro-unités de méthanisation et permettre à des fermes de générer leur propre énergie. Jusqu’à présent, les capteurs de ces méthaniseurs doivent être collectés tous les six mois et envoyé dans la société qui les commercialise pour être calibrés à distance. Le projet, s’il aboutit, permettrait donc d’éviter cette manipulation couteuse grâce à des capteurs capables de se calibrer eux-mêmes. Il est basé sur un système d’optique et d’intelligence artificielle - chacun des partenaires (universités, organismes de recherche, industriels…) participe ainsi sur la base de ses propres compétences, toutes différentes.
Des consortiums efficaces, clef de la réussite
La Cour des comptes, dans un rapport publié en janvier 2025, soulignait l’intérêt pour la France de renforcer sa présence dans les projets collaboratifs - au cœur du pilier II du programme pour la recherche et l’innovation européen qui comptabilise un budget total de plus de 53 milliards d’euros. Ils sont le moteur de la recherche appliquée en Europe et permettent aux chercheurs de structurer leur domaine scientifique à l’échelle du continent, d’accéder à des partenariats public-privé, et d’obtenir des financements considérables.
Si les équipes françaises se distinguent déjà dans certains domaines, notamment le secteur spatial où la recherche publique a su établir des partenariats solides avec l’industrie, l’institution appelle à amplifier cette dynamique dans d’autres secteurs. Elle recommande notamment de renforcer les collaborations public-privé pour maximiser l’impact et la compétitivité de la recherche française à l’échelle européenne.
Jean-Stéphane Dhersin, directeur du bureau de Bruxelles du CNRS, souligne l’importance de ces projets « au bénéfice de la compétitivité européenne ». Il rappelle aussi que « l’amélioration de la recherche passe par la collaboration et l’échange entre chercheurs ». Les projets collaboratifs permettent non seulement aux chercheurs qui les coordonnent d’impulser une direction à leur domaine scientifique, à l’échelle européenne, mais aussi de voir leurs résultats transférés grâce à la collaboration avec des partenaires industriels. Carlos Ramos en témoigne : « Nous sommes partis d’une science très fondamentale et c’est à partir du moment où nous avons trouvé l’utilisateur final, BertEnergy, et la société qui commercialise ces capteurs, Senseair, que le projet a trouvé sa place dans les financements européens », détaille-t-il. Une vision partagée par Xavier Rodier, coordinateur du projet collaboratif Echoes, sont l’objectif est la création du cloud européen pour le patrimoine culturel, financé à hauteur de 25 millions d’euros pour cinq ans, une ampleur inédite. Il explique : « en participant à ce type de projet, on intègre un réseau européen, on interagit avec les experts et les comités consultatifs dans nos domaines, et c’est là que se dessinent les orientations stratégiques ». Son projet rassemble 51 partenaires, parmi lesquels 16 organisations représentent à elles seules un réseau de 1 000 institutions culturelles à travers l’Europe.
Trouver le bon objectif et les compétences ad hoc, donc le consortium adéquat - ce qui nécessite « une bonne connexion avec la communauté scientifique » - sont autant de clés du succès, selon Carlos Ramos. Il estime aussi « important de s’inspirer de l’expérience d’équipes déjà lauréates, notamment en lisant leurs propositions pour comprendre comment les choses doivent être présentées. » Pour préparer son dossier, le chercheur a aussi obtenu de l’aide du CNRS pour vérifier le budget et s’assurer qu’il ne comprenait pas de coûts inéligibles. Au sein du consortium, une société allemande spécialisée prend en charge la gestion du projet, ainsi que la dissémination des résultats.
Une stratégie proactive du CNRS pour peser dans Horizon Europe
Pour les scientifiques du CNRS, « le pilier 2 d’Horizon Europe peut sembler difficile d’accès de prime abord », analyse Jean-Stéphane Dhersin. Il estime également que les équipes pâtissent « d’un niveau de maturité technologique requis élevé », « d’une multiplication de petits appels très ciblés et pas assez lisibles » et « d’une présence insuffisante des scientifiques du CNRS dans les axes d’influence européens ». Pour autant, pas de fatalité : en juillet 2023, le CNRS a mis en place une stratégie via le recrutement d’experts dont la mission principale consiste à identifier, en lien avec les instituts, des chercheurs qui pourraient rejoindre les associations membres des partenariats qui représentent la moitié des financements du pilier 2. « Le CNRS s’inscrit dans ces partenariats dès leur création, au moment où se forment les associations », poursuit-il.
Afin d’améliorer sa participation aux projets collaboratifs du pilier 2, le CNRS a mis en place des groupes de travail « miroir », au sein desquels ses scientifiques élaborent les priorités et messages du CNRS qui seront portés dans les Groupes Thématiques Nationaux (GTN) par les représentants CNRS désignés. Les priorités définies au sein des GTN sont par la suite défendues par les Représentants français auprès des comités de programme d'Horizon Europe (RCP).
La recherche collaborative a sa place au sein de l’intégralité d’Horizon Europe, et le CNRS mène également son plaidoyer conjointement avec ses homologues du réseau G6, qui regroupe les principaux organismes de recherche européens - CNR, CNRS, CSIC, Helmholtz Association, Leibniz Association et Max Planck Society. Ensemble, les organismes demandent notamment une plus grande place réservée aux projets collaboratifs dans le pilier 1 du programme, dédié à la recherche fondamentale d’excellence - comme c’est déjà le cas des appels Synergy de l’ERC qui permettent de financer des projets menés par des équipes de deux à quatre chercheurs principaux.
Synergy, l’autre visage de la recherche collaborative
Chargé d’affaires « Europe et international » au CNRS, Marc Lavaux témoigne de l’accompagnement mis en place par l’organisme « pour aider les chercheurs à coordonner des projets, ce qui demande un travail et un suivi plus intensif » : depuis trois ans, le CNRS s’est lancé dans le recrutement de 100 ingénieurs de projets européens (IPE), généralistes ou spécialisés, par exemple dans les mathématiques. « La coordination d’un projet collaboratif peut représenter l’équivalent d’un mi-temps de travail, d’où l’importance de l’accompagnement des IPE, qui sont là au moment du montage et pour la contractualisation », complète-t-il. L’ingénieur de projet européen accompagne et aide à la coordination du consortium en priorité. Cependant l’IPE intervient dans tous types de projet collaboratif ou individuel, y compris quand ils ne sont pas en coordination CNRS.
« Les projets collaboratifs permettent à différentes pensées d’interagir et de dépasser ce que chacun pourrait faire de son côté, ce que ne permettent pas les subventions individuelles », résume le mathématicien Carlos Simpson, directeur de recherche au CNRS et spécialiste en intelligence artificielle. Il porte avec un autre chercheur du CNRS et deux chercheurs de l’Inria le projet Malinca, lauréat d’une subvention ERC Synergy financée à hauteur de 10 millions d’euros pour six ans, qui « combine des compétences en mathématiques, en informatique et en linguistique pour élaborer un programme capable de lire et de vérifier une démonstration rédigée par un mathématicien ».
Avec leur budget, les chercheurs ambitionnent de recruter 12 postdocs, « de différents pays pour que le projet ait une bonne assise européenne », poursuit Carlos Simpson qui estime « important de travailler à la croisée des disciplines mais aussi des âges ». Malgré la concurrence des salaires offerts dans le privé en intelligence artificielle, le mathématicien table sur « l’intérêt pour de jeunes chercheurs de rejoindre l’équipe pendant deux ou trois ans avant éventuellement de rejoindre le privé » et compte sur la richesse de ces interactions, permises par la dimension collaborative et européenne du projet, au bénéfice de la science.
« S’engager dans ces projets, c’est aussi comprendre la politique et la stratégie de la recherche au niveau européen. Et c’est passionnant. On pourrait rester dans notre posture de scientifique et dire que les politiques ne prennent pas en compte nos visions… mais c’est à nous d’investir ces réseaux, surtout au moment où se prépare le prochain programme-cadre », réaffirme Xavier Rodier.
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