Les Outre-mer, laboratoires de la transition écologique
Entre avril et septembre 2024, le CNRS et ses partenaires ont déjà formé à la transition écologique les trois quarts des agents de l'État en poste dans les Outre-mer. Ces fonctionnaires ont bénéficié d'une formation axée sur leurs enjeux spécifiques, dans la perspective de leur donner les clés pour faire de leurs territoires, en première ligne des changements climatiques, des pionniers en matière de transition.
À une distance comprise entre 7 000 et 17 000 km de Paris, les territoires d’Outre-mer qui constituent « l’archipel France » ne représentent certes que 22 % du territoire national, mais plus de 70 % du littoral, 80 % de la biodiversité et 97 % de la zone économique exclusive française. La Martinique, la Guadeloupe, La Réunion, la Guyane, mais également Saint-Pierre-et-Miquelon ou encore la Polynésie française… Tous ces territoires sont considérés comme très vulnérables et comme des sentinelles des impacts du changement global sur les questions de préservation et d’adaptation de la biodiversité, de préservation des ressources naturelles et des risques naturels – sismiques, volcaniques ou climatiques, montée de la mer –, mais également des maladies émergentes.
Depuis la publication de sa feuille de route pour l’Outre-mer en 2023, le CNRS a renforcé sa présence et ses recherches, interdisciplinaires, hors de l’Hexagone. En tant que coordinateur national des étapes conférences-débats et visites de terrain du programme de formation à la transition écologique des cadres de l’État, l’organisme a coordonné les interventions d’une quarantaine de scientifiques pour former 525 fonctionnaires dans les territoires ultra-marins. Pour minimiser son empreinte carbone, le CNRS a favorisé la participation de scientifiques déjà présents sur place ou participant à une mission de terrain plutôt que de multiplier les déplacements aériens.
Les Outre-mer en première ligne de la transition écologique
De fait, la prise en compte des spécificités environnementales et socio-économiques de ces territoires offre des éléments-clés pour faciliter la prise de conscience et la mobilisation, une démarche largement appréciée par les cadres de l’État. « À La Réunion et à Mayotte, les échanges étaient axés sur des exemples concrets liés à l'érosion côtière, à la ressource en eau et aux impacts du changement climatique », se souvient Alain Chateauneuf, premier président de la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion. « Lorsqu’on vit sur un petit territoire insulaire, on se rend compte de sa vulnérabilité face à ces enjeux », renchérit le magistrat, qui a d’autant plus apprécié « la capacité des conférenciers à vulgariser des données complexes pour un public varié ». Idem du côté de Saint-Pierre-et-Miquelon : « Nous avons largement ouvert les conférences et tous les publics se sont montrés très intéressés », confirme Patricia Bourgeois, directrice de la Direction des territoires, de l'alimentation et de la mer (DTAM) de Saint-Pierre-et-Miquelon. « Car il existe ici une biodiversité marine et des écosystèmes uniques qui ne ressemblent ni aux autres territoires d'outre-mer, ni à la métropole, poursuit la directrice. Le contexte insulaire rend les problématiques environnementales plus concrètes et plus urgentes et révèle l'importance d'adapter les actions de sensibilisation et de formation aux spécificités de chaque territoire ». Impacté par le changement climatique à l’origine de multiples événements climatiques à répétition, Miquelon est d’ailleurs le premier village français à être déplacé dans le cadre d’un plan de prévention des risques littoraux.
Les conséquences du changement climatique, Marie-Dominique Leroux les voit également de près à La Réunion. Responsable Division et Climatologie à la direction interrégionale pour l’océan Indien de Météo France à Saint-Denis, elle a dirigé le projet de recherche BRIO (Building Resilience in the Indian Ocean) qui vise à régionaliser les données pour cet océan, qui représente un peu moins de 15 % de la surface totale du globe terrestre. « La Réunion est un territoire où les effets du changement climatique sont déjà visibles. Or, les modèles globaux utilisés par le GIEC ne prennent pas en compte les caractéristiques comme le relief par exemple, qui a une forte influence sur la climatologie locale », justifie-t-elle. Même constat pour Laetitia Hedouin, directrice de recherche en biologie marine au CNRS au sein du Centre de recherches insulaires et observatoire de l'environnement1 à Moorea, en Polynésie française, qui n’a pas hésité à sensibiliser son auditoire sur les menaces qui pèsent sur les récifs coralliens, dues à la pollution, au réchauffement climatique. Pour cela, elle s’est largement appuyée sur la Fresque des récifs coralliens, un outil de sensibilisation créé par son laboratoire. « Le bouturage corallien a été l’une des principales questions posées par les agents de l’État en Polynésie française, en lien avec les actions très médiatisées menées par une association locale. On pourrait croire qu’ils ont une solution miracle pour les récifs coralliens, or il n’existe pas de solutions simples face à la complexité des problèmes environnementaux », résume-t-elle.
- 1CNRS / EPHE – PSL / Université Perpignan-Via Domitia.
De la science à la décision
Dans ces conditions, où commence et où s’arrête la mission des scientifiques ? « Tout en se limitant à son domaine de compétence, il est crucial de fournir des données précises aux décideurs locaux pour les aider à prendre des mesures efficaces », considère Marie-Dominique Leroux. Pour Laetitia Hedouin, il s’agit bien de partager ses connaissances, lesquelles fondent ses convictions. « Nous transmettons des données rigoureusement scientifiques et incontestables, mais on nous demande d’être en contact avec la réalité du terrain », remarque pour sa part Fabrice Teletchea. Originaire de Saint-Pierre-et-Miquelon, le chercheur est maître de conférences au Laboratoire interdisciplinaire des environnements continentaux1 . Spécialiste de l'aquaculture et de la biologie du poisson, il travaille sur la biodiversité et les ressources marines de l’archipel depuis de nombreuses années. « Dans cet archipel, on est vite confronté au concret, les enjeux de biodiversité, d’aménagement et d’usage du territoire sont très liés et nécessitent des solutions adaptées », confirme-t-il. Marie-Dominique Leroux va encore plus loin : à ses yeux, La Réunion fait figure de « laboratoire » pour étudier les effets du changement climatique… et faire en sorte que l’action publique les anticipe. En témoigne, sur l’île, un certain nombre d’initiatives visant à faciliter le dialogue entre scientifiques et décideurs politiques, comme les COP territoriales ou les groupements régionaux d'experts sur le climat, sans compter la révision du schéma d'aménagement régional dans laquelle s’implique la météorologue.
À Saint-Pierre-et-Miquelon, le rapprochement entre science et action publique commence à se mettre en place. « Suite à une prolifération d'algues constatée dans une lagune par les habitants, un consortium scientifique a été créé pour étudier le phénomène et mettre en place un suivi., détaille Patricia Bourgeois. C’est un des exemples concrets du lien positif qui peut être noué avec les scientifiques ». Cependant, la directrice de la DTAM de l’archipel regrette l’absence d’un « intermédiaire sur place, capable de faire le lien entre les deux mondes ». En effet, les scientifiques français qui se rendent sur l’archipel, à 4 000 km des côtes hexagonales, proviennent de laboratoires métropolitains, comme ceux du CNRS par exemple, ou antillais pour ceux du Bureau de recherches géologiques et minières. Face à de pareilles distances, comment construire l’articulation entre science et décision ? « Des dispositifs nationaux pourraient être déclinés sur le territoire. », affirme Fabrice Teletchea, à l’image des treize Observatoires hommes-milieux pilotés par CNRS Écologie & Environnement, l’un des dix instituts du CNRS. Ce dispositif de recherche, dédié à la compréhension des écosystèmes très anthropisés, très artificialisés et très complexes, dispose d’ores et déjà de deux sites outre-mer, respectivement dans le bassin de l’Oyapock en Guyane et le long du littoral caraïbe, en Guadeloupe.
Malgré ces défis, scientifiques et agents de l’État s'accordent sur la nécessité d'aller plus loin. Pour construire un avenir plus durable, il faut connecter la recherche aux réalités du terrain. « C'est bien d'être sensibilisés, désormais il faut travailler sur un plan d'action concret », plaide Patricia Bourgeois. Un avis partagé par Alain Chateauneuf : « Veillons collectivement à ce que la dynamique insufflée par la formation à la transition écologique ne retombe pas ».
- 1CNRS / Université de Lorraine.