« Le CNRS a un rôle à jouer pour accentuer les partenariats entre le Canada et la France »
Le CNRS ouvre son 9ème bureau à l’étranger à Ottawa, au Canada, afin de mieux coordonner et renforcer ses activités de recherche partenariale sur l’ensemble du territoire. Explications avec son directeur, Jan Matas.
Pourquoi le CNRS ouvre-t-il un Bureau au Canada ?
Jan Matas1 : Ce nouveau bureau devrait permettre au CNRS de bâtir une démarche partenariale plus diversifiée et ciblée avec les acteurs de la recherche. Le Canada, 4ème pays en intensité de co-publications2 avec plus de 2 400 articles scientifiques chaque année3 est un partenaire incontournable du CNRS. Nous partageons plusieurs grandes stratégies scientifiques comme l’intelligence artificielle, les sciences quantiques ou encore les sciences océaniques et polaires pour lesquelles le Canada dispose d’importantes forces en matière de recherche et d’innovation réparties dans les différentes provinces et territoires. A travers les partenariats avec les acteurs, nous souhaitons également bénéficier des complémentarités d’approche de la recherche nord-américaine afin de mieux répondre aux différents défis sociaux à l’échelle globale.
Historiquement, la coopération scientifique du CNRS au Canada était gérée depuis son Bureau Amérique de Nord, situé à Washington, D.C. Depuis 2019, une antenne conjointe entre le CNRS et l’Université de Lyon, hébergée par l’Université d’Ottawa, avait été créée afin d’explorer des nouvelles opportunités de coopération. La création du nouveau bureau du CNRS au Canada vise ainsi à amplifier ces efforts menés depuis plusieurs années et à nouer de nouvelles passerelles avec les universités, organismes de recherche et agences de financement.
Quel est l’état actuel des collaborations scientifiques avec le Canada ?
J. M. : Le CNRS s’appuie sur un réseau de coopérations solides et coordonnées avec des acteurs institutionnels et universitaires à l’échelle fédérale. Il bénéficie d’un ancrage historiquement fort au Québec où les communautés scientifiques partagent une langue et une proximité culturelle, et où le CNRS peut compter sur un soutien institutionnel récurrent. A l’échelle du Canada, on comptait, en 2021, quatre International Research Laboratories (IRL4 ) sur les écosystèmes arctiques, les nanotechnologies, et les mathématiques, impliquant actuellement 15 chercheurs CNRS en séjour long (voir encadré). Le CNRS a également mis en place 14 International Research Projects5 sur les thématiques couvrant l’ensemble des instituts du CNRS, et quatre International Research Network6 où le partenaire principal est canadien. Actuellement, le CNRS finance également plus de 20 contrats doctoraux, dont 11 avec l’Université de Toronto, en partenariat avec les universités françaises où sont inscrits leurs bénéficiaires. L’ensemble de cette coopération structurée représente pour le CNRS un investissement d’environ 1,8 M€ en 2021.
Grâce à son ancrage pluridisciplinaire dans le paysage français de la recherche et de l’innovation, incluant les sciences dites dures ainsi que les sciences humaines et sociales, et au rôle qu’il joue dans la coordination de certaines stratégies nationales françaises, le CNRS bénéficie au Canada d’une reconnaissance institutionnelle forte auprès des décideurs gouvernementaux, des bailleurs de fonds canadiens ainsi que des universités. Le positionnement stratégique du Bureau dans la capitale fédérale nous facilite le travail partenarial avec les forces scientifiques réparties à travers le pays, entre l’Atlantique, le Pacifique et l’Arctique.
Malgré la pandémie, cela nous a permis de signer des accords de coopérations ambitieux avec les institutions canadiennes telles que MITACS7 et CIFAR8 afin de faciliter les mobilités transatlantiques et lancer des projets interdisciplinaires franco-canadiens notamment en IA. Une coopération solide existe également avec les agences de financement : d’une part avec le Fonds de recherche du Québec (FRQ) et avec sa branche en sciences naturelles et génie (FRQ-NT 9 ) pour soutenir les IRL au Québec et, d’autre part, avec le Conseil de recherche en sciences naturelles et en génie10 (CRSNG) pour promouvoir et faire valoir les actions du CNRS à l’échelle fédérale. S’agissant du volet innovation de la coopération, un accord a été signé en 2021 entre CNRS Innovation et l'Accélérateur de création d'entreprises technologiques (ACET) de Sherbrooke pour accompagner des start-up du CNRS dans l’écosystème canadien.
Quelles vont être les premières priorités et actions déployées par ce bureau ?
J. M. : Bien que la pandémie ait significativement affecté la manière de travailler à l’international, nous avons pu lancer de nombreuses actions. Dans le contexte d’une relance « post-pandémie », que j’espère très prochaine, le Bureau accompagnera la mise en place opérationnelle des nouveaux accords signés pour le bénéfice de la communauté scientifique. On peut citer par exemple la mise en place du réseau France – Canada en sciences quantiques avec plusieurs universités canadiennes et françaises, le lancement à venir d’un appel pour constituer un réseau international en intelligence artificielle « responsable » avec le CIFAR ou encore l’organisation prochaine d’un « forum doctoral » avec l’Université de Toronto.
Je souhaiterais également que le Bureau puisse contribuer de manière plus active à la diplomatie scientifique et nouer un partenariat innovant comme par exemple avec le ministère de l’Europe et des Affaires Étrangères et le ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. Le CNRS est directement impliqué dans des actions coopératives à l’échelle fédérale et provinciale au travers de ses nombreuses collaborations (IRL, IRP et IRN) et dispose ainsi d’une vision globale de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation au Canada qu’il pourra partager davantage avec l’Ambassade de France à Ottawa et le Consulat général de France à Québec, sachant qu’un lien régulier et constructif existe déjà avec ces derniers. Mais nous avons aussi un rôle à jouer pour faciliter, bâtir et accentuer des partenariats avec les universités françaises, une preuve de concept ayant été faite à travers l’Antenne conjointe avec l’Université de Lyon. L’association d’un organisme national de recherche avec les universités permet de bâtir à l’international des passerelles entre la recherche scientifique et la formation par la recherche ainsi que de conjuguer nos forces et nos complémentarités. Pour s’inscrire dans la durée, les projets de coopération franco-canadiens devraient être connectés non seulement à des projets doctoraux, mais également aux mobilités des étudiants de master en stage de recherche.
Grâce à l’ancrage solide du CNRS dans le paysage européen de la recherche, le Bureau peut aussi se positionner comme un facilitateur de partenariats scientifiques à cette échelle. Le CNRS peut partager son expérience et son expertise avec ses partenaires transatlantiques alors que le Canada souhaite s’approcher davantage de l’espace européen de la recherche dans le cadre du programme Horizon Europe11 .
Quelles sont les perspectives de coopération en lien avec les grandes stratégies scientifiques partagées avec le Canada ?
J. M. : De nouvelles opportunités se sont ouvertes grâce au soutien affiché depuis 2015 du gouvernement fédéral de Justin Trudeau à la recherche et à l'innovation scientifique pour renforcer la coopération autour des sujets stratégiques à l’échelle pancanadienne. Il s’agit notamment de l’intelligence artificielle, des sciences et technologies quantiques, des sciences océaniques et polaires, ou encore de la transition énergétique et de la santé globale.
Dans le budget du gouvernement fédéral, voté en avril 2021, de nouveaux moyens significatifs ont été annoncés dans plusieurs domaines stratégiques. À titre d’exemple, 440 millions de dollars canadiens12 sur 10 ans pour le renouvellement de la stratégie en intelligence artificielle, déjà dotée en 2017 d’un investissement de 125 millions de dollars, ou encore 360 millions de dollars canadiens sur 7 ans pour la stratégie quantique. Le Canada souhaite également renforcer le lien entre recherche et innovation en soutenant notamment le secteur des sciences de la vie et les technologies décarbonnées.
Ces thématiques et investissements sont en résonance avec plusieurs programmes et équipements de recherche prioritaires français dont le CNRS est l'un des opérateurs comme par exemple le PEPR Hydrogène décarbonné, le PEPR Technologies quantiques ou encore le PPR Océan et Climat, ainsi qu’avec des priorités du plan « France 2030 » annoncé récemment par le Président Emmanuel Macron.
Ces convergences transatlantiques offrent un large spectre d’opportunités dans lequel la communauté scientifique française pourrait s’inscrire, tant au niveau de la recherche fondamentale que de la valorisation de la recherche. Il est à noter que les acteurs de la recherche et les entreprises canadiennes ont une culture partenariale bien plus développée que celle que nous pouvons observer en France. Ainsi, une coopération et un dialogue transatlantiques peuvent apporter davantage de projets novateurs et d’échanges de bonnes pratiques. Le nouveau Bureau du CNRS au Canada souhaite contribuer également à cette dynamique.
- 1Ancien représentant de l’Antenne conjointe CNRS-Université de Lyon au Canada, Jan Matas a obtenu un doctorat en sciences de la Terre à l’École normale supérieure de Lyon et est devenu directeur de recherche CNRS en 2015.
- 2En dehors de l'Union Européenne (après les États-Unis, le Royaume Uni et la Chine).
- 3L'activité de co-publication est répartie de manière comparable entre 3 provinces, le Québec, l'Ontario et la Colombie Britannique, complétées par plusieurs centres spécifiques en Alberta et en Nouvelle Ecosse.
- 4Anciennement appelée les Unités mixtes internationales (UMI), ces outils structurent en un lieu identifié la présence significative et durable de scientifiques d’un nombre limité d’institutions de recherche françaises et étrangères.
- 5Ces projets de recherche collaborative, entre un ou plusieurs laboratoires du CNRS et des laboratoires d’un ou deux pays étrangers, anciennement appelés les LIA, consolident des collaborations déjà établies.
- 6Ces outils structurent une communauté scientifique à l’international, composée d’un ou plusieurs laboratoires français, dont au moins un laboratoire du CNRS, et de plusieurs laboratoires à l’étranger, autour d’une thématique partagée ou d’une infrastructure de recherche (anciennement appelés les GDRI).
- 7MITACS est un organisme sans but lucratif ayant pour objectif d’appuyer la recherche appliquée et industrielle, notamment à travers un soutien à la mobilité et aux stages de recherche des étudiants, de doctorants et de jeunes chercheurs.
- 8CIFAR est une institution de recherche qui vise à rassembler les meilleurs scientifiques du monde entier autour des grandes questions de la recherche. Plus de 1 000 chercheurs de plus de 30 pays ont contribué aux programmes de recherche en tant que boursiers, conseillers, titulaires d’une chaire en IA Canada-CIFAR. Missionné par le gouvernement fédéral, le CIFAR porte la Stratégie Pan-canadienne en Intelligence Artificielle.
- 9[10] Le FRQNT, est un des trois fonds de recherche regroupé au sein du FRQ a pour mission de soutenir et promouvoir l’excellence de la recherche et la formation de la relève en sciences naturelles, mathématiques et génie, afin de stimuler le développement de connaissances et l’innovation.
- 10Organisme fédéral canadien de soutien à l’excellence en découverte et en innovation.
- 11Les discussions d’association ont été officiellement amorcées en juin lors du sommet Canada.
- 12Le taux d’échange : 1€ = cca 1,45 dollars canadiens.
Les IRL du CNRS au Canada
- L’IRL CNRS – Centre de Recherches Mathématiques (CRM)
Depuis sa création en 1968, le Centre de Recherches Mathématiques (CRM) a joué un rôle crucial dans le développement des mathématiques au Québec et au Canada. Grâce à l’appui du Conseil national de recherches du Canada (CNRC) et par la suite du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG), le CRM est devenu un grand centre international regroupant presque tous les mathématiciens actifs du Québec et plusieurs mathématiciens des autres provinces canadiennes et de l’étranger.
- LN2, Laboratoire Nanotechnologies & Nanosystèmes
Créé en 2012, en partenariat entre le CNRS (Institut des Sciences de l’Ingénierie et des Systèmes), l’Université de Sherbrooke, l’INSA Lyon, Centrale Lyon, CPE Lyon et l’Université Grenoble Alpes, le Laboratoire Nanotechnologies & Nanosystèmes a pour objectif de produire une recherche interdisciplinaire intégrée, dans le domaine des micro-nanotechnologies.
- PIMS Europe, IRL CNRS – PIMS
Le Pacific Institute for the Mathematical Sciences (PIMS) est un consortium d’universités créé en 1996. Elargi au fil des années, il regroupe aujourd’hui 9 universités canadiennes et 1 université étasunienne: University of Alberta, University of British Columbia, University of Calgary, Simon Fraser University, University of Victoria, University of Regina, University of Lethbridge, University of Manitoba, University of Saskatchewan, et University of Washington.
- Takuvik, Centre International d’Etude et de Modélisation des Ecosystèmes et Géosystèmes Arctiques et Subarctiques
Créé en Janvier 2011, l’IRL Takuvik est issu d’un partenariat entre l’Université Laval et le CNRS (Institut national des Sciences de l’Univers). Le programme de recherche de Takuvik vise à mieux comprendre l’impact des perturbations environnementales actuelles d’origine climatique et anthropique, sur les écosystèmes et les géosystèmes arctiques, marins et terrestres.