Le CNRS présent à la plus grande conférence internationale sur le photovoltaïque
À la veille de la 42e édition de l’EUPVSEC, la plus grande conférence européenne sur le photovoltaïque, qui s’ouvre lundi prochain à Marseille, Abdelilah Slaoui, qui dirige la cellule énergie du CNRS, fait le point sur les avancées scientifiques dans ce domaine en pleine expansion.
L’énergie solaire continue-t-elle de gagner du terrain ?
À l’instar de l’ensemble des énergies renouvelables, le photovoltaïque est en plein essor dans le monde. La capacité cumulée de production mondiale d’énergie solaire et d’énergie éolienne, n’a cessé de progresser atteignant 1 térawatt (un millier de milliards de watts) fin 2018. En 2000, la capacité de production cumulée de l'énergie solaire et de l'énergie éolienne a été multipliée par 65 et a même quadruplé depuis 2010.
La progression du solaire est encore plus spectaculaire. Depuis 2017, la capacité de production d’énergie solaire a augmenté de 46 % alors que celle de l’éolien n’a crû que de 8 %. Sur la même période, le nombre de panneaux photovoltaïques a été multiplié par 57. En 2018, au moins 99,9 GWc de systèmes photovoltaïques ont été installés dans le monde, contre 76,4 GWc en 2016 et 98,9 GWc en 2017. La puissance installée cumulée atteignait au moins 500 GWc à la fin 2018 !!! À titre de comparaison : 1 GW est la puissance électrique moyenne d'un réacteur nucléaire des années 1970, l'EPR a une puissance de 1,65 GW ; mais 1 GW nucléaire produit en moyenne 7 à 8 TWh/an, contre 1,2 TWh/an pour 1 GW photovoltaïque.
Cette croissance est assez impressionnante mais il faut garder en tête que l’énergie photovoltaïque ne représente que 2,6 % de la production mondiale d’électricité. Il nous reste encore de la marge pour qu’elle occupe une place prépondérante dans notre quotidien.
Quelle place la France et le CNRS en particulier occupent–ils dans le domaine photovoltaïque au plan scientifique ?
La compétition, tant sur le plan scientifique que sur le plan industriel, est aujourd’hui extrêmement vive, surtout depuis que l’Asie, je pense en particulier à la Chine et à la Corée, sont entrés de plain-pied dans cette compétition, y consacrant des forces considérables, en recherche comme en développement.
En Europe, l’Allemagne et la France concentrent une grande partie des forces scientifiques, les pays européens et en particulier la France s’étant refocalisés sur les questions de recherche fondamentale depuis la forte percée du monde asiatique que j’évoquais à l’instant.
En France, le CNRS représente, aux côtés du CEA, sans aucun doute un acteur majeur. Nous avons pour notre part, depuis plusieurs années déjà regroupé nos forces, dans une fédération de recherche CNRS (FeDP pour Fédération de recherche photovoltaïque) qui comptent 14 laboratoires, liés à trois instituts du CNRS (INSIS, INC et INP). Ces unités mixtes de recherches comptent en 2019 quelque 480 personnes, chercheurs et chercheuses permanents et non permanents, ingénieurs et techniciens travaillant sur le photovoltaïque.
Cette association de plus de 15 laboratoires, créée en 2013, nous permet de fédérer et de promouvoir de la meilleure manière nos actions dans le domaine, des matériaux jusqu’aux systèmes. Elle nourrit en idées et en actions l'ITE_IPVF1 , une structure inédite qui associe à la fois des partenaires académiques, comme le CNRS ou l’École Polytechnique, de grands industriels de l’énergie comme EDF, Total et Air liquide et de l’instrumentation comme Horiba-Jobin-Yvon et Riber. Inversement, l’ITE-IPVF supporte des projets ciblés en partenariat avec des unités de la fédération.
En plus de la fédération, on peut citer le groupe de recherche (GDR) HPERO dédié aux perovskites halogénés, et le réseau NANORGASOL qui regroupe des unités travaillant sur la recherche et la technologie liées à l’élaboration, la caractérisation et le développement des cellules photovoltaïques à base de matériaux organiques (petites molécules et/ou polymères) ou hybrides inorganique/organique.
Quels sont les enjeux scientifiques actuels sur le photovoltaïque ?
Ils sont de deux ordres. Il faut, pour que l’énergie photovoltaïque soit compétitive, d’une part développer des matériaux les plus adaptés à l’absorption du rayonnement solaire ; d’autre part, améliorer les procédés très performants pour la fabrication de cellules et modules photovoltaïques. Les matériaux utilisés doivent être abondants et non toxiques, et les procédés doivent être économes en énergie et transférables à l’industrie.
La compétition est extrêmement forte entre les pays, comme je l’évoquais précédemment, mais aussi entre les équipes.
Quels sont les verrous scientifiques et technologiques qui restent à lever ?
Nous devons parvenir à porter les rendements de conversion des cellules utilisant un seul matériau d’absorption le plus près des 30 %, limite thermodynamique dite de Schockley-Queisser. Pour ce faire, il faut réduire au maximum les pertes optiques et électriques en travaillant sur les structures périphériques de la cellule (couches d’antireflet à conversion de photons, management optique par des nanoréseaux, architecture des contacts…). L’autre défi est de dépasser ce rendement en développant des cellules tandem performantes, c’est-à-dire en juxtaposant plusieurs matériaux qui absorbent différentes parties du spectre solaire mais sans générer des pertes additionnelles par ailleurs, et sans exploser le coût de fabrication.
Les laboratoires du CNRS sont-ils bien placés dans cette course ?
Nos laboratoires travaillent assidûment sur les aspects que je viens de citer. Nous cherchons à développer le potentiel photovoltaïque de matériaux en couches minces à l’exemple des pérovskites hybrides, CuInGaSSe, CZTS, polymère et petites molécules et également explorer les potentialités de nouveaux matériaux au cœur des défis de demain tels que les oxydes multiferoïques, les nanoparticules semiconductrices et des clathrates de silicium ... Comme illustration des très nombreux travaux d’une grande qualité émanant des unités CNRS, très loin d’être exhaustifs, on peut citer les résultats très récents obtenus par les laboratoires C2N2 et LCMCP3 en collaboration avec l’IPVF1 et l’institut solaire de Freiburg qui ont réussi à piéger efficacement la lumière dans une cellule photovoltaïque basée sur une couche absorbante semiconductrice ultramince de seulement 205 nanomètres et un miroir nanostructuré. Grâce à cette nouvelle architecture, un rendement de près de 20 % a pu être atteint (Nature Energy-2019). Plus fondamental, des équipes des laboratoire LP2N et FOTON en collaboration avec des chimistes de l’ETH Zurich et EMPA en Suisse, ont élucidé la structure fine complète de l’exciton dans des nanocristaux pérovskites individuels (Nature Materials-2019), ce qui permet de comprendre la nature du transport électronique dans les cellules perovskites et à terme augmenter leurs rendements de conversion au-delà des 27%.
Il y a aussi toutes les activités des unités CNRS sur les cellules tandem avec clairement un focus sur les structures matériaux III-V sur silicium et Perovskite sur silicium. En parallèle, il y a plusieurs activités sur l’exploration de nouveaux concepts et applications : conversion de photons, concentration, porteurs chauds, photovoltaïque ultraléger, photosynthèse artificielle. Le graal serait d’associer le développement de composants ou systèmes intégrés pouvant combler la production d’électricité par effet photovoltaïque et le stockage de celle-ci par voie chimique ou autre, permettant de pallier à la problématique de l’intermittence.
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- « Et si on faisait planer le solaire... »
- 1Institut de recherche et développement sur l'énergie photovoltaïque d'Ile-de-France (IPVF – CNRS/École polytechnique/Chime ParisTech/EDF/Air Liquide/Total SA)-CNRS/Université Bordeaux/Bordeaux INP)
- 2Centre de Nanosciences et de Nanotechnologies (C2N-CNRS/Université Paris-Sud)
- 3Sorbonne Université / CNRS / Collège de France