Le CNRS met en synergie les sciences pour penser et affronter les changements globaux
Comment penser et affronter les changements globaux qui affectent la planète ? En réponse à l’un de ses six grands défis sociétaux, le CNRS mobilise et met en synergie les ressources de toutes ses communautés scientifiques.
Mais que vient faire Vil Coyote, suspendu au-dessus du vide à force d’avoir poursuivi Bip-Bip, dans un colloque scientifique ? Présenté par l’un des intervenants au colloque « Sciences des points de bascule », qui se tenait à Paris du 4 au 6 octobre 2023, cet extrait du célèbre cartoon Bip Bip et Coyote illustrait la manière dont l’humanité, engagée dans une série de crises planétaires, risquait, sans le savoir, de franchir un point de bascule au-delà duquel tout retour en arrière est impossible. Par-delà son comique, ce visuel mettait en lumière des risques existentiels pour nos sociétés, mis en lumière dans le dernier rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, tels que la fonte accélérée des glaces arctiques ou antarctiques, la disparition de la forêt amazonienne ou encore l'arrêt de la circulation méridionale de l'Atlantique. Ces potentiels points de bascule suscitent nombre d’interrogations, discutées dans ce colloque, le premier en son genre au CNRS : tout d’abord, qu’est-ce qu’un point de bascule ? ensuite, les sciences peuvent-elles les prévoir ? et, si oui, quelles sciences ?
Du changement climatique aux changements globaux
Y participaient naturellement des climatologues, mais aussi des écologues, des économistes, des mathématiciens ou encore des modélisateurs informatiques. Ce foisonnement scientifique, Freddy Bouchet, co-organisateur du colloque et directeur du groupement de recherche (GDR) « Défis théoriques pour les sciences du climat » dont l’événement scientifique est issu, le revendique : « d’un point de vue scientifique, certaines questions passionnantes se trouvent à l’extérieur des disciplines classiques et il y a un grand intérêt à travailler hors des cadres disciplinaires ». Lancé début 2022, ce GDR résolument interdisciplinaire1 s’ouvre à d’autres acteurs, académiques – CEA, Ifremer, Inrae, Inria, IRD et MétéoFrance – et non-académiques – RTE et des entreprises. L’enjeu d’un tel regroupement : « trouver des angles morts théoriques pour aider les scientifiques à les investir et développer des approches nouvelles ».
La naissance de ce GDR, dont le colloque d’octobre est l’une des premières manifestations, s’inscrit plus généralement dans la volonté du CNRS de mettre en synergie l’ensemble des disciplines qui le composent pour penser les changements globaux et aider à affronter les transitions. C’est dans cette optique que, dans le cadre du défi « Changement climatique » tiré du Contrat d’objectifs et de performance (COP) 2019-2023 du CNRS, un groupe de travail inter-instituts a vu le jour. Compte tenu des interrelations entre eux, la thématique de ce groupe va évoluer du seul changement climatique aux changements globaux dans leur ensemble. Pour penser ces derniers à travers des approches scientifiques intégrées, le groupe de travail a là aussi fait appel à l’ensemble des disciplines concernées. Parmi celles-ci, on compte évidemment CNRS Terre & Univers, CNRS Écologie & Environnement et ses infrastructures de recherche comme les zones-ateliers et les observatoires hommes-milieux, mais aussi les sciences humaines et sociales (SHS). Pour expliquer leur présence dans ce collectif, Stéphanie Vermeersch, directrice adjointe scientifique (DAS) de CNRS Sciences humaines et sociales et sa représentante dans le groupe, évoque un « grand embarquement des SHS dans les affaires climatiques ». Peu évidente de prime abord, cette intégration s’explique selon elle, entre autres, par l’origine et les effets du changement climatique : « plus on constate l’ampleur de son origine anthropique et plus on mesure l’impact de la nouvelle donne climatique, plus on a besoin des SHS pour comprendre à la fois les changements et leurs effets. Comprendre les conséquences sur les sociétés est devenu tout aussi crucial que l’analyse des phénomènes physiques ».
Placer la recherche en amont des politiques publiques
Pour Sophie Godin-Beekmann, ancienne DAS de CNRS Terre & Univers et membre du groupe de travail, « le groupe de travail a effectué une cartographie des expertises en lien avec le changement climatique pour identifier des ressources au sein des instituts et établi une liste de sujets de recherches interdisciplinaires susceptibles d’être coordonnées par le CNRS, dont notamment la science des points de bascule avec le colloque d’octobre ou la mise au point de capteurs pour la surveillance environnementale. Le groupe de travail a également mis au point une feuille de route nationale pour créer une cellule dédiée. Cette cellule, dont le champ a été élargi à la problématique de la perte de biodiversité, aura pour but d’animer des actions relatives à l’étude des changements globaux et de leurs impacts sociétaux ».
De fait, en inscrivant le CNRS comme acteur incontournable des recherches sur ces questions et en le projetant sur le long terme, cette stratégie consacrée aux changements globaux cherche à redéfinir la posture de l’établissement vis-à-vis des politiques publiques. En plus d’être observateurs des conséquences de ces changements, les scientifiques pourraient à présent se situer en amont des politiques publiques, de manière, comme le dit Sophie Godin-Beekmann, à jouer « un rôle d’aide à la décision en montrant l’apport des sciences fondamentales dans la formulation de solutions interdisciplinaires ». Pour comprendre de quelle façon, Gilles Pinay, DAS de CNRS Écologie & Environnement et membre du groupe de travail, prend l’exemple de l’agrivoltaïsme qui consiste en l'installation de panneaux solaires sur des cultures agricoles, un secteur en plein développement. Depuis 2023, le ministère de l’Agriculture français facilite et promeut ce type de structures dans le cadre de la loi relative à l’accélération des énergies renouvelables. Pour éclairer les acteurs socio-économiques et politiques dans leurs choix à venir, le DAS de CNRS Écologie & Environnement souligne qu’il est nécessaire d’« évaluer toutes les conséquences hydriques, paysagères, énergétiques, agricoles, économiques, juridiques, sociologiques ou encore politiques d’un développement à large échelle de panneaux photovoltaïques au sol ». Pour ce faire, un consortium de recherche pluridisciplinaire a été mobilisé dans le cadre du Centre de recherche international2 du CNRS avec l’Université d’Arizona et en partenariat avec l’Université de Mexico, l’Université Mohamed VI du Maroc et Israël. Selon Gilles Pinay, « une telle démarche d’anticipation et pluridisciplinaire, qui ne s’était malheureusement pas faite pour l’agriculture intensive il y a soixante ans, pourrait ainsi éviter de reproduire des erreurs passées ».
Et, peut-être, comme Vil Coyote, de franchir un point de bascule sans nous en rendre compte.
- 1Il mobilise pas moins de cinq instituts du CNRS : CNRS Physique, CNRS Mathématiques et CNRS Terre & Univers, qui le financent, et CNRS Sciences informatiques et CNRS Ingénierie, qui y participent.
- 2Un Centre de recherche international est un nouveau dispositif institutionnel qui vise à instaurer un dialogue stratégique ambitieux entre le CNRS et son partenaire académique pour définir leurs intérêts communs et les collaborations leur permettant d’y répondre ensemble, sous la forme de laboratoires de recherche internationaux, de projets de recherche, de réseaux thématiques ou d’autres dispositifs existants ou à développer.
Les six défis du COP
Le CNRS a inscrit dans son COP 2019-2023 six défis auxquels nous faisons face dès aujourd’hui et que l’organisme souhaite éclairer de manière déterminante dans les prochaines années, via une mobilisation coordonnée de ses dix instituts. Des défis complexes qui ont été révélés ou sont portés par les sciences, comme le changement climatique et l’intelligence artificielle, ou qui peuvent être éclairés par celles-ci, comme la transition énergétique. Dans un dialogue inter-institut coordonné par la Direction générale déléguée à la science, des groupes de travail dédiés ont identifié les actions et projets déjà menés au sein des laboratoires sur les six défis sociétaux sélectionnés.
Les six défis :
- Changement climatique
- Inégalités éducatives
- Intelligence artificielle
- Santé et environnement
- Territoires du futur
- Transition énergétique