Le Quiz Femmes et Filles de Science 2025
Elles sont chercheuses, inventrices, techniciennes, connues ou moins connues, au CNRS et dans le monde : testez vos connaissances sur les femmes scientif
La moindre place accordée aux femmes dans les carrières scientifiques et les objets de recherche a des conséquences au-delà de la science. À l’occasion de la Journée internationale des femmes et filles de science, les trois coordinatrices de l’ouvrage Le Genre en recherche font le point sur la place des femmes en science en France.
Laurence Guyard, référente genre à l’Agence nationale pour la recherche (ANR), Magalie Lesueur-Jannoyer, directrice régionale Antilles-Guyane au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) et Angela Zeller, chargée d’études genre et de projets européens à l’ANR (2018-2024), sont à l’initiative de l’essai Le Genre en recherche. Évaluation et production des savoirs, auquel ont contribué trente personnes à travers neuf chapitres.
Dans quel contexte votre ouvrage a-t-il vu le jour ?
Magalie Lesueur-Jannoyer : À la fin des années 2010, l’Union européenne avait fait le constat d’une absence de progrès flagrante en matière d’égalité professionnelle entre femmes et hommes au sein de ses institutions de recherche. Pour les aider à construire d’ambitieux plans d’action en faveur de l’égalité et assurer une meilleure prise en compte des questions de genre dans les recherches scientifiques, elle a lancé un appel à projets, couvrant la période 2019 – 2023. Le Cirad y a répondu, en formant un consortium aux côtés de six autres partenaires scientifiques et financiers1 , dont l’ANR, et deux partenaires techniques2 , ce qui a donné naissance au projet européen Gender Smart .
Laurence Guyard : Le contexte hexagonal allait dans le même sens. En 2019, la loi de transformation de la fonction publique française invitait chaque établissement public à se doter d’un plan d’action pour l’égalité professionnelle. Ainsi, comme l’appel à projets demandait aux consortia d’intégrer au moins une agence de financement, l’ANR a saisi cette opportunité afin de bénéficier des outils fournis par les partenaires techniques et de travailler en collaboration avec les organismes de recherche et établissements d’enseignement supérieur et de recherche, pour développer ses actions dans le domaine. Au fil des discussions, a émergé l’idée d’un colloque, organisé en distanciel en décembre 2020 dans le contexte de la pandémie de Covid-19. Devant le succès de celui-ci – plus de 600 inscrits, majoritairement des scientifiques, de toute discipline, ainsi que quelques figures politiques –, nous avons voulu le prolonger en partageant ces réflexions au plus grand nombre à travers cet ouvrage, paru en décembre dernier.
Depuis les premières actions nationales en faveur de la parité il y a une dizaine d’années, comment a évolué l’égalité femmes-hommes au niveau de l’enseignement supérieur et de la recherche en France ? Où se situent les marges d’amélioration ?
L. G. : Il est toujours très complexe de mesurer l’impact des politiques publiques, en raison notamment de la difficulté à comparer des données et catégories qui varient d’un établissement à l’autre. C’est pourquoi il faut produire des analyses régulièrement. La première partie de notre ouvrage porte sur le rôle que les agences de financement ont à jouer, à la fois pour rendre compte des pratiques des femmes et hommes de science en réponse aux appels à projets, mais aussi pour s’assurer que des biais de genre ne s’immiscent pas dans les processus de sélection. Le premier chapitre présente l’ensemble des dispositifs mis en place à l’ANR en insistant sur l’importance de ces analyses que nous conduisons depuis dix ans notamment sur l’Appel à projets générique (AAPG) qui est ouvert à tous les domaines scientifiques et concentre près de 80% de notre budget d’intervention. Conduire ces analyses sur le temps long est important car cela permet de voir l’évolution des pratiques ; sur cet appel on constate de fait une croissance constante du nombre de projets portés par des femmes, année après année. Alors qu’en 2015, 28% des projets de recherche déposés étaient coordonnés par des femmes, cette proportion passe à près de 35 % en 2024.
Cette moindre visibilité des femmes, miroir des communautés scientifiques existantes, est la conséquence en particulier de la force des stéréotypes et des barrières idéologiques qui organisent l’ensemble des activités sociales et notamment les orientations professionnelles comme cela est mis en évidence dans l’ouvrage, particulièrement dans le chapitre 6. Bien que la parité soit très souvent pensée comme étant la solution, elle ne garantit pas, au sein par exemple d’un comité d’évaluation scientifique, l’absence de biais de genre dans l’évaluation. En effet, les femmes comme les hommes ont des biais de genre inconscients et en prendre conscience n’est pas aussi simple, d’où l’importance des formations dédiées que nous avons mises en place à l’ANR et que nous allons renforcer par le déploiement de supports pédagogiques diversifiés. La recherche d’une parité relative reste toutefois très importante pour d’autres raisons. La mixité offre en effet une plus grande ouverture aux approches scientifiques qui peuvent être sexuellement différenciées et elle permet aux femmes de bénéficier des avantages de la participation à des comités d’évaluation au même titre que les hommes (enrichir son CV, constituer un réseau, mieux comprendre les attentes d’un comité pour augmenter ses propres chances de succès en réponse à un appel, etc.).
Angela Zeller : Entre 2020 et 2021, une phase expérimentale à l’AAPG avait incité les projets de recherche à intégrer la question du sexe1 et/ou du genre2 , de façon à mesurer ce que les communautés scientifiques considéraient comme relevant du sexe et/ou du genre. Le fait que plus de 90 % des projets de recherche y aient spontanément répondu témoigne qu’un mouvement est véritablement enclenché, avec une prise de conscience des inégalités entre les femmes et les hommes dans l’enseignement supérieur et la recherche.
Toutefois, l’analyse a montré une confusion entre les notions de sexe, genre et parité chez les scientifiques. Elle a également mis en lumière que la majorité des chercheurs – plus que des chercheuses – associent ces notions aux problématiques RH de composition paritaire des équipes. On note cependant que c'est dans les sciences humaines et sociales et les sciences de la vie que la question de l'intégration de la dimension sexe/et ou genre est la plus présente, voire constitue un objet d'étude en tant que tel.
Votre ouvrage montre que l’exclusion des femmes des carrières scientifiques et des objets de recherche se répercute dans la production des savoirs scientifiques, voire au-delà. Pouvez-vous nous donner quelques exemples ?
M. L-J. : Le premier impact direct concerne l’écart de rémunération entre femmes et hommes en recherche. Même si les grilles salariales de la fonction publique sont en principe les mêmes pour tous, on observe encore un écart moyen de 10 à 15 % au profit des hommes. Ce dernier s’accroît au fur et à mesure de l’avancement de la carrière et du jeu des promotions, marquées par des biais de genre défavorables aux femmes, et peut atteindre jusqu’à 40-45 % pour les postes de direction dans certaines institutions.
A. Z. : D’un point de vue scientifique, il faut considérer la question du sexe et/ou du genre comme une « catégorie d’analyse utile », à même de renouveler les savoirs. C’est une vraie nécessité scientifique. À ce titre, le projet ANR SexDiff, présenté dans le chapitre 7, sur la détermination du sexe et la différenciation ovarienne vise à combler un manque de connaissances sur ces questions et pourra potentiellement conduire à une meilleure prise en charge de certaines pathologies.
M. L-J. : Lorsqu’elle est prise en compte, la question du sexe et/ou du genre peut de fait véritablement changer les résultats de recherche. Je prendrai pour exemples deux projets de recherche, décrits dans notre ouvrage. L’un, en agronomie et économie du développement (RTBFoods), a conclu que la sélection variétale des racines, tubercules (manioc, igname et patate douce) et des bananes en Afrique subsaharienne doit tenir compte du genre, de leur production à leur consommation. En effet, la plupart des projets agronomiques se consacrent à la production, au rendement agricole – une activité majoritairement effectuée par les hommes dans ces pays – et ratent de ce fait les questions liées à la commercialisation sur les marchés locaux et à la transformation dans les cuisines – deux tâches dévolues aux femmes –, soit tout un pan de l’innovation au sein de ces filières. Autrement dit, une nouvelle variété est plus facilement adoptée et acceptée par les populations locales non pas tant en raison de son rendement agricole et de ses caractères de résistance aux maladies que de son caractère facile ou non à cuisiner et de son appréciation sur les marchés, ce qui relève généralement du domaine des femmes. Et, pour ce faire, dans des pays où les femmes ont peu l’occasion de s’exprimer publiquement, l’équipe de recherche a renforcé sa propre mixité afin de pouvoir s’entretenir avec ces femmes.
L’autre projet, au Burkina Faso, a mieux évalué les leviers pour diversifier l’alimentation des femmes burkinabées, qui avaient moins accès que les hommes et leurs enfants à des repas variés, car la plupart des études économiques se focalisaient sur le revenu agricole et ne prenaient pas en compte l’accès aux champs ou aux repas extérieurs, la position sociale des femmes dans des ménages polygames ou l’âge des membres du foyer. L’approche pluridisciplinaire et réflexive mise en œuvre dans le projet Relax a permis ainsi de mieux appréhender la complexité du nexus agriculture-alimentation incluant les questions liées au genre et de faire progresser les méthodes déployées non seulement sur le terrain mais aussi dans la gouvernance du projet.
En définitive, le caractère inclusif d’une équipe de recherche détermine également la production de savoirs elle-même et la créativité scientifique.
Le Genre en recherche. Évaluation et production des savoirs, éditions Quae, Laurence Guyard, Magalie Lesueur-Jannoyer et Angela Zeller (dir.), décembre 2024
Elles sont chercheuses, inventrices, techniciennes, connues ou moins connues, au CNRS et dans le monde : testez vos connaissances sur les femmes scientif