La formation à la transition écologique des cadres de l’État : un défi relevé avec succès
Après plus d’une année à coordonner des conférences-débats et des visites de terrain à destination des hauts fonctionnaires et cadres supérieurs, le CNRS dresse un bilan très encourageant de la formation à la transition écologique, avant son extension prochaine à l'ensemble des agents de la fonction publique d'État.
« Nous avons atteint des objectifs que je pensais inatteignables ! », se félicite Valery Lemaître, directeur de programme à la Délégation interministérielle à l’encadrement supérieur de l’État (Diese) en charge de la formation des cadres. Plus que le nombre de personnes formées, le directeur de la formation retient leur degré de satisfaction, évalué par une enquête : « 15 000 personnes qui attribuent la même note de 4,6/5 aux ateliers, ce n'est plus une tendance, cela devient une vraie statistique ! ».
Lancé en octobre 2022 par le gouvernement, ce programme de formation vise à faire de la France le premier pays à sensibiliser l’ensemble de ses agents pour inscrire la transition écologique au cœur des politiques publiques. Principal contributeur du GIEC, seul organisme de recherche national totalement pluridisciplinaire et partenaire de toutes les universités, les écoles et les autres organismes français, le CNRS a été identifié comme interlocuteur privilégié par l’État. C’est à ce titre qu’il coordonne les étapes conférences-débats et visites de terrain, deux des cinq composantes de la formation pilotée par la Diese.
Pour ce faire, le groupe d’appui et d’expertise scientifique, créé pour garantir la qualité du contenu de la formation, a choisi dès le démarrage du programme de placer la science au cœur du dispositif, en mobilisant directement les scientifiques, « une véritable mine d'or en France » selon Luc Abbadie, professeur émérite d’écologie à Sorbonne Université et co-président du groupe. L'appel à volontaires lancé auprès de la communauté scientifique a été un succès : 396 intervenantes et intervenants scientifiques de toutes disciplines se sont mobilisés, réalisant à ce jour 720 interventions dans les conférences-débats.
Le choix de faire intervenir ensemble des scientifiques issus des sciences de la nature et des sciences humaines et sociales a facilité la compréhension des enjeux par les cadres. Car la transition écologique, selon Luc Abbadie, relève autant de questions environnementales que de psychologie, d'économie ou encore de sociologie. « Nous avons essayé de montrer qu'il y avait une compréhension scientifique derrière les catastrophes écologiques que nous annoncions et que cette compréhension pouvait donner des clés pour l'action, détaille-t-il. Il est important de dire la vérité, aussi terrible soit-elle, mais il faut aussi montrer qu'il est encore possible d'agir ».
Ancrer la science au cœur de la formation
373 conférences-débats et 125 visites de terrain ont été organisées entre novembre 2023 et décembre 2024 dans tous les territoires, y compris les Outre-mer, accueillant respectivement 20 000 et 1 700 participations des agents d’État. Pour les mettre en place, le CNRS a étroitement collaboré avec la Diese. Tant Claire Gouny, coordinatrice nationale des conférences-débats et des visites de terrain au CNRS, Luc Abbadie que Valery Lemaître soulignent la mobilisation de tous les acteurs. « Nous avons gagné le pari de l'intelligence collective : c’est grâce à la mobilisation des équipes du CNRS, des autres organismes de recherche, des universités, de la Diese et des différents ministères que nous avons pu atteindre des résultats aussi positifs ».
Co-construire avec les services de l’État au plus près des territoires
De fait, « la capacité d'adaptation des chercheurs du CNRS ou d’autres organismes et des enseignants-chercheurs des universités, combinée à une grande rigueur de suivi, a été essentielle pour la réussite du programme », confirme Claire Gouny. L’utilisation d’exemples locaux pour illustrer les changements globaux et déployer des contenus scientifiques adaptés aux réalités des territoires – à l’instar du réseau des observatoires des sciences de l'Univers (OSU) – a été déterminante dans les interventions des scientifiques. « Partout, ils se sont efforcés d’aborder les préoccupations locales en matière de climat, de biodiversité et de ressources naturelles », témoigne Valery Lemaître. Ainsi, à Marseille, les conséquences du changement climatique en milieu urbain ont été abordées, tandis qu’en Normandie les scientifiques et les fonctionnaires ont échangé sur les travaux de territorialisation conduits dans le cadre de la COP régionale sur les enjeux de la planification écologique. En Martinique, les risques spécifiques aux territoires ultra-marins ont été bien sûr évoqués.
La dimension territoriale s’est incarnée également dans la co-construction directe avec les acteurs territoriaux, notamment les services de l’État en région. Une recherche de pertinence que l’on retrouve également dans l’adaptation aux spécificités d’un ministère à l’autre. « Au ministère de la Justice, nous avons par exemple co-construit avec nos partenaires nos interventions sur le droit de la nature, la géopolitique du climat et la place de la justice dans la lutte contre les atteintes à l’environnement », précise Claire Gouny.
Le choix du présentiel obligatoire était audacieux. « Malgré sa complexité, il a déclenché une dynamique particulière entre scientifiques et agents publics, remarque Luc Abbadie. « La complémentarité des étapes conférences-débats, plus théoriques, et visites de terrain, résolument tournées vers l’action pratique, a aussi permis de créer des connexions fortes entre fonctionnaires et scientifiques », complète Claire Gouny. Ces choix ont largement contribué à la réussite du programme.
Les perspectives de la FTE
Au-delà du nombre de fonctionnaires formés, une thèse en cours questionne l'impact réel de la formation sur la mise en œuvre de la transition écologique à l’échelle de l’État. En attendant les résultats, cet impact « se manifeste d’abord par les liens durables que nouent les services de l'État avec les scientifiques », observe Luc Abbadie. « La formation a également contribué à créer de véritables synergies entre les acteurs du territoire eux-mêmes qui travaillent sur des sujets complémentaires », abonde Claire Gouny.
Quand les hauts fonctionnaires s’interrogent sur leurs moyens réels pour mettre en œuvre des solutions, Luc Abbadie leur précise : « Personnellement, je ne connais ni l'administration ni les rouages juridiques. C’est à vous d'imaginer les actions. Vous avez une capacité d'action publique considérable ».
Pour le chercheur, la transition écologique devrait structurer toutes les politiques publiques. « Il s’agit de placer la dimension environnementale au même niveau que les enjeux économiques et sociaux, poursuit Luc Abbadie. Il faudrait systématiquement se poser la question : cette mesure est-elle bonne ou mauvaise pour l'environnement ? Si elle est mauvaise, il faut la changer. C’est une question existentielle : si nous n’arrivons pas à maintenir des conditions de vie correctes sur notre planète, les mesures sociales ou économiques n'auront aucun effet », alerte-t-il.
Dans cette optique, le dispositif actuel sera adapté pour s’étendre aux 2,5 millions d’agents de la fonction publique. Le CNRS y collabore activement avec la Direction générale de l’administration et de la fonction publique, la Diese, le groupe d’appui et d’expertise et l’ensemble des acteurs concernés. « Des formats hybrides et distanciels viendront compléter l’offre de formation, permettant au fur et à mesure à tous les agents d’être sensibilisés au sujet », précise Claire Gouny.
Aujourd’hui, tous les protagonistes de la formation à la transition écologique espèrent que la sphère publique s'appuiera davantage sur la science pour imaginer des solutions. « L’expérience française est unique en Europe, voire au monde, conclut Luc Abbadie. Aucun autre pays n'a engagé une obligation de formation aussi large, portant sur un socle commun de connaissances à acquérir par tous les fonctionnaires ». Ce modèle français de formation des agents publics à la transition écologique pourrait-il inspirer d’autres nations ?