COP 27 : « Penser l’océan, c’est penser notre société pour l’avenir »

Institutionnel

Pour la première fois, le CNRS, aux côtés de nombreux partenaires scientifiques internationaux, sera présent à la COP 27 en Égypte au travers d’un pavillon dédié à l’océan. L’occasion de souligner le rôle de l’océan dans les futurs défis climatiques et de biodiversité, et de promouvoir la création de l’IPOS, un groupement d’expert pour l’océan. Retour sur ces enjeux avec Antoine Petit, président-directeur général du CNRS et Françoise Gaill, conseillère scientifique au CNRS et porteuse de l’IPOS.

Quels sont les objectifs et les attentes de la Conférence des Parties (COP 27) de Charm el-Cheikh, qui se tient du 6 au 18 novembre ?

Antoine Petit : Cette COP, qui se tient sur le continent africain, est attendue comme celle de la mise en œuvre. Ces dernières années, il y a eu beaucoup d’annonces sans suites concrètes. L’année dernière encore à Glasgow, la COP 26 s’achevait sur un constat mitigé alors qu’elle devait revenir sur de nombreux enjeux déjà restés en suspens, notamment en termes de mise en application de l’Accord de Paris. Par exemple, l’ambition de limiter le réchauffement à 1,5 °C à l’échelle globale et à travers l’engagement des États ou encore le soutien financier des pays développés aux pays en développement. Ces derniers souhaitent aujourd’hui une « implémentation » des annonces.

Françoise Gaill : J’y vois quatre enjeux : établir un programme de travail robuste en matière d'atténuation1  et accroître l'ambition climatique de l'ensemble des pays ; aller beaucoup plus loin en termes de stratégies d’adaptation2  ; renforcer et faciliter l'accès aux financements pour l'action climatique en garantissant 100 milliards de dollars, chaque année jusqu'à 2025, aux pays en développement et les petits États insulaires en développement ; et enfin, renforcer la représentation et la participation active de toutes les parties prenantes, en particulier des représentants des communautés les plus vulnérables, afin de parvenir à un accord consensuel, juste et équitable. Si les COP ne sont pas suivies d’actions concrètes, il y a une crainte d’un désintérêt à terme.

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© Rafael Henrique / stock.adobe.com

Pour la première fois, l’océan tiendra une place centrale à une COP grâce à un Pavillon Océan. Remettre l’océan à la table des négociations a été une longue route… 

F.G. : L’importance de l’océan comme acteur majeur du système climatique n’est bien identifiée que depuis 2015, à la suite de la COP 21 à Paris. L’accord de Paris introduisait la notion de l’océan en tant qu’écosystème dans son préambule. En 2019, le rapport spécial du Giec3  (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) consacré à l’océan et la cryosphère, a confirmé les liens majeurs entre océan et climat et mis en évidence les bouleversements déjà à l’œuvre. Le travail de la plateforme Océan & Climat4 , en lien avec les ONG et les États insulaires, a également permis de grandes avancées.

A.P. : Le Pavillon Océan est une grande première, il n’avait alors jamais existé de pavillon sur cette thématique lors d’une COP. Et c’est un pavillon porté par des établissements scientifiques du monde entier. La recherche scientifique est capitale pour promouvoir le rôle majeur de l’océan et construire des trajectoires durables. Nous connaissons l’importance du rôle de l’océan pour les enjeux climatiques et souhaitons qu’il soit à la table des négociations. Nous voulons présenter toutes les solutions qui existent en termes d’atténuation et d’adaptation basées sur l’océan. Aujourd’hui, les scientifiques ont atteint un niveau de connaissance précis sur les enjeux et peuvent proposer des pistes d’actions concrètes.

Le CNRS est partenaire de ce Pavillon aux côtés d’autres organismes de recherche internationaux et ONGs. C’est aussi la première fois qu’un pavillon d’une COP est géré par des organismes de recherche. Comment vont s’organiser les activités au sein du Pavillon ?

A.P. : Le pavillon sera rythmé par une succession de « side events » imaginés par les partenaires du pavillon5 . Tout au long de la journée, scientifiques, négociateurs, décideurs, mécènes se rencontreront pour présenter des actions en lien avec les éléments de négociation de la COP. Nous allons partager des points de réussite ou de blocage. Nous serons le relai de ce que les équipes scientifiques peuvent apporter aux négociations du point de vue du partage des données, de l’observation, de la mise en réseau des connaissances et de l’interface science-décision. Plus spécifiquement le CNRS organise deux rencontres : une première sur la thématique climat/océan/biodiversité qui vise à présenter des solutions d’adaptation et d’atténuation basées sur l’océan6 . La seconde rencontre mettra en avant le projet de l’IPOS (International Plateform on Ocean Sustainability) porté par Françoise Gaill. Par ailleurs, un MoU7  sera signé entre le CNRS et Woods Hole Oceanographic Institution8 .

Le CNRS s’est trop longtemps tenu éloigné de l’interface science-décision, alors que d’autres institutions et pays intègrent largement la science dans la décision politique. La crise du Covid-19 a démontré le besoin essentiel de porter les connaissances vers le monde politique. Il est nécessaire de redonner à la science le rôle qu’elle doit avoir dans la cité. En participant à cette COP, le CNRS continue d’endosser davantage ce rôle.

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Le CNRS organisera deux rencontres lors de la COP 27 : une première sur la thématique climat/océan/biodiversité qui vise à présenter des solutions d’adaptation et d’atténuation basées sur l’océan et la seconde rencontre mettra en avant le projet de l’IPOS. © CNRS

Françoise Gaill, vous portez le projet IPOS : le « panel international pour un océan durable », une sorte de « GIEC de l’océan ». Où en est-on sur ce projet ?

F.G : Océan, climat et biodiversité forment un triptyque indissociable. La création de l’IPOS va permettre de mieux comprendre comment l’océan réagit aux changements qui affectent les deux autres dimensions du triptyque et jusqu’à quand l’océan pourra assurer les services qu’il nous rend actuellement. L’IPOS vise donc à intégrer les connaissances scientifiques pour modéliser le comportement de l’évolution de l’océan et esquisser les actions à mener pour un océan durable.

Nous avons présenté l’IPOS lors du One Ocean Summit9  de Brest en février 2022. Puis, lors de la conférence des Nations Unies pour l’océan organisée à Lisbonne en juin, nous avons consolidé l’intérêt d’un certain nombre d’institutions de recherche sur le sujet et commencer à penser une coalition d’acteurs institutionnels avec le CNRS, Woods Hole Oceanographic Institution, la Scripps10  ou encore Geomar11 . Une étude sur l’IPOS vient d’être acceptée dans la revue Ocean Sustainibility et sera publié prochainement. De plus, l’Union Européenne soutient désormais l’IPOS et l’a intégré dans sa stratégie Océan12  souhaitant en faire un outil intergouvernemental. Notre objectif dorénavant est de préparer la preuve de concept de l’IPOS pour le présenter lors de la prochaine conférence des Nations-Unies qui aura lieu en France en 2025 et obtenir leur reconnaissance.

Le CNRS est le seul organisme de recherche généraliste du Pavillon Océan parmi les poids lourds de la recherche océanographique internationaux. En quoi est-ce une plus-value ? 

A.P. : C’est d’abord un vrai enjeu pour le CNRS qui est en effet la seule institution couvrant toutes les disciplines scientifiques. Notre interdisciplinarité est un atout majeur pour la thématique de l’océan. L’Océan a besoin de science, de toutes les sciences : la biologie, l’océanographie, l’écologie, la chimie, et il a également besoin de la philosophie, de l’économie et de l’histoire. L’océan est, par essence, un objet interdisciplinaire et le CNRS pourra jouer un rôle moteur en encourageant à penser l’océan comme un objet de la durabilité13 , car plus on avance, et plus on comprend que penser l’océan, c’est penser notre société pour l’avenir.

F.G. : Au niveau européen, nous restons en retard en science de la durabilité qui intègre cette notion d’interdisciplinarité. Le CNRS est le mieux placé par son interdisciplinarité, et l’Institut Écologie et Environnement du CNRS, en particulier, commence à investir pleinement les sciences de la durabilité.

  • 1L'atténuation du changement climatique ou « atténuation du réchauffement climatique » regroupe les actions visant à atténuer l'ampleur du réchauffement mondial d'origine humaine par la réduction des émissions de gaz à effet de serre ou la capture et séquestration du dioxyde de carbone de l'atmosphère.
  • 2L’adaptation au changement climatique désigne les stratégies, initiatives et mesures visant à réduire la vulnérabilité des systèmes naturels et humains contre les effets du réchauffement climatique. 
  • 3Créé en 1988, le GIEC vise à fournir des « évaluations détaillées de l’état des connaissances scientifiques, techniques et socio-économiques sur les changements climatiques, leurs causes, leurs répercussions potentielles et les stratégies de parade. »
  • 4La Plateforme Océan & Climat a pour mission de favoriser la réflexion et les échanges entre la communauté scientifique, la société civile et les décideurs politiques afin de mieux tenir compte de l’Océan dans la lutte contre le changement climatique et érosion de la biodiversité.
  • 5Woods Hole Oceanographic Institution, Scripps (UC San Diego), AGU, Avatar Alliance Foundation, Blue Marine Foundation, CNRS, Ifremer, Minderoo Foundation, CSM, National Academies, National Oceanography Centre, National Institute of Oceanography & Fisheries, Ocean & Climate Platform, Ocean Policy Research Institute, Oceanx, pacific islands forum secretariat, POGO, Plymouth Marine Laboratory.
  • 6Centre américain d'enseignement et de recherche dans tous les domaines des sciences et de l'ingénierie marines.
  • 7Memorandum of Understanding.
  • 8Centre américain d'enseignement et de recherche dans tous les domaines des sciences et de l'ingénierie marines.
  • 9[Sommet international organisé par la France et consacré à la préservation de l’océan.
  • 10Institut d’océanographie de l’UC San Diego.
  • 11Centre de recherche océanographies de Kiel (Allemagne).
  • 128e recommandation : soutenir la création de l’IPOS
  • 13La durabilité désigne une configuration de la société humaine qui lui permet d’assurer sa pérennité.