Une recherche influente aux quatre coins du monde
Scientifiques et diplomates se sont réunis le 14 mars pour une journée d’échange avec les Unités mixtes des instituts français de recherche à l’étranger (Umifre). Entre enjeux globaux et études de terrain, la recherche offre son regard de spécialiste à l’action du politique.
Le rendez-vous était donné au Quai d’Orsay. Quoi de plus logique pour un évènement célébrant la diplomatie scientifique. Durant toute la journée, chercheurs et diplomates ont échangé sur les enjeux sociaux et économiques d’un monde globalisé lors de tables rondes sur le thème Pensées influentes, la recherche française en sciences humaines et sociales à l’étranger.
« L’Umifre est une expérience, celle qu’ont vécu les chercheurs et les chercheuses qui ont décidé, un jour, d’abandonner les objets et les terrains, que leur offraient l’étude de la France pour se passionner pour les églises rupestres de Lalibela, en Ethiopie, pour la préservation du patrimoine oral du Yémen, ou pour les conflits de mémoires dans l’Europe de l’Est en voie de désoviétisation », a rappelé Francois-Joseph Ruggiu, directeur de l’Institut des sciences et humaines et sociales en ouvrant la journée de débats.
Un réseau ancien
Celui que le ministre de l’Europe et des Affaires Etrangères, Jean-Yves Le Drian, désignera comme « l’un des réseaux du Quai d’Orsay les moins connus et pourtant l’un des plus exceptionnels » a été initié dès la fin du XIXe siècle au rythme des grands temps de l’histoire moderne. Ce sont, d’abord, les recherches archéologiques orientales en Iran et en Afghanistan qui marquent les premières implantations de la recherche scientifique française à l’étranger. Viens ensuite l’époque des Indépendances entrainant de nouveaux ancrages avec notamment la création de l’Institut français de Pondichéry, créé en 1955 suite à l’accord de cession de facto des comptoirs français de l’Inde. La fin de l’Union soviétique ouvre de nouveaux champs de recherche avec, par exemple, l’ouverture du Centre Marc Bloch après la chute du mur de Berlin. Puis, arrivera le tour de l’Asie avec l’émergence de pôles d’influences économiques sur ce continent.
Le CNRS rejoint le réseau en 2007 et gère aujourd’hui, en cotutelle avec le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, ces outils au service des échanges et du rayonnement scientifique français. La journée était l’occasion de rappeler dix ans de partenariat et de diplomatie scientifique. Aujourd’hui, ce sont 27 Instituts français de recherche à l’étranger (IFRE), dont 25 en cotutelle avec le CNRS, implantés au sein de 34 pays répartis sur cinq continents, qui répondent aux problématiques liées aux enjeux du monde contemporain et à l’histoire des civilisations passées.
La diplomatie scientifique
« Le réseau des Umifre apporte une capacité de recherche, ainsi qu’une expertise. Il est important pour nous d’avoir cette compréhension des problématiques des territoires », rapporte Mihoud Mezouaghi de l’Agence française de développement dont l’objectif est de renforcer sa collaboration avec les Umifre.
De par leur ancrage local, les Umifre bénéficient d’une expertise et d’un réseau permettant de proposer des réponses concrètes aux enjeux contemporains. Ainsi l’Institut Français d’Études Anatoliennes d’Istanbul, de par son appréciation géographique et archéologique de la région, apporte ses connaissances sur le dossier du trafic d’antiquités se déroulant actuellement en Syrie.
« Nous ne pouvons rien faire sans éléments de compréhension solide, explique le Colonel Ludovic Ehrhart de l’Office central de lutte contre le trafic des biens culturels du ministère de l’Intérieur. Les Umifre se posent comme des éclaireurs sur le terrain capable de donner des éléments scientifiques concrets. »
Par-delà leur expertise, le rôle des Umifre revient également à « décaler le regard », à mettre en avant de nouveaux sujets de compréhension du monde contemporain.
C’est, par exemple, le cas du Centre d’études français sur la Chine contemporaine (CEFC) qui, a abordé par la voix de son directeur Eric Florence, la problématique des développements récents autour d’Internet et de la numérisation de l’économie et de la société chinoise en dialogue avec Nicolas Chapuis du Centre d’analyse, de prévision et de stratégie au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.
« Nous (ndlr. La France) sommes les seuls à mener ces travaux, précise Nicolas Chapuis. Le citoyen chinois est le plus connecté au monde. La Chine est en avance et cela peu de gens le savent. »
La recherche, en proposant une meilleure compréhension de la complexité du monde, éclaire le politique sur les forces à l’œuvre.
« La recherche aide le politique à sortir de l’unilatéralisme ou de l’action pour l’action. La culture générale : oui. Les idées générales : non », précise Eric Danon, directeur général adjoint des affaires politiques et de sécurité au ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères.
De la formation à l’ancrage local
Véritables centres d’accueil pour les scientifiques, les Umifres, qui comptent à travers le monde 150 chercheurs et 350 doctorants dans leurs rangs, se posent également comme des centres de formation et permettent de développer un réseau de chercheurs implantés localement.
« Les Umifre sont fondamentales pour promouvoir la recherche de terrain qui n’est pas déconnectée des sociétés étudiées et pour la formation de chercheurs au long cours. Nous accueillons des étudiants dès le master, puis le doctorat, qui seront ensuite capables de travailler en lien avec les institutions locales de recherche et d’intégrer des institutions françaises pour porter des projets », rapporte Abbès Zouache, directeur du Centre Français d'Archéologie et de Sciences Sociales à Koweït City, valorisant l’importance de la formation linguistique pour ces chercheurs.
« Les Umifre sont la production du savoir et la proximité avec le terrain, dans le cas du CEFC, on parle de la Chine continentale, Hong Kong et Taiwan. C’est la possibilité pour ces chercheurs d’être insérés dans un réseau de chercheurs et de créer un réseau de chercheurs localement et régionalement », ajoute Eric Florence, directeur du CEFC dont l’unité a développé une revue sur le monde chinois contemporain qui s’est imposée parmi les cinq meilleures à l’international.
Dispositif sans équivalent à l’international, les Umifre permettent au CNRS de poursuivre « son internationalisation de la recherche », a rappelé Antoine Petit, président-directeur général du CNRS, en clôturant la journée de débats.
Laurence Stenvot