L’IPBES pointe le lien entre biodiversité, santé et alimentation
La 11e édition de l’IPBES, le « GIEC de la biodiversité » vient de se terminer à Windhoek, en Namibie. Dans le rapport qu’ils publient ce jour, les scientifiques établissent un lien direct entre perte de biodiversité, santé humaine, agriculture et dérèglement climatique.
Inondations ou au contraire sécheresses extrêmes, pandémies chez l’animal (grippe aviaire) ou chez l’humain (Covid), appauvrissement des sols agricoles rendus exsangues par l’usage intensif de produits phytosanitaires… Aux quatre coins du monde, les crises liées au changement climatique, à l’eau, à la perte de biodiversité, à la santé et à l’alimentation se multiplient avec des effets qui se nourrissent entre eux. Parce que ces domaines sont intimement liés, l’IPBES (Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques) dont la 11 édition s’est refermée hier à Windhoek, en Namibie, a demandé à 165 scientifiques du monde entier de plancher sur une approche croisée. « Un pari inverse à la démarche en silos académiques qui est la nôtre généralement, même si nous revendiquons l’interdisciplinarité », pointe l’écologue Sandra Lavorel, du Laboratoire d’écologie alpine1
, une des experts français auteurs du rapport, avec également Patrick Giraudoux, du laboratoire Chrono-environnement2
, et Serge Morand, du Laboratoire de recherche international (IRL) Health, Disease Ecology, Environment, and Policy3
. Les résultats de ce rapport viennent d’être adoptés, ce mardi 17 décembre, par les 147 États-membres de l’IPBES4
.
Comment lutter de la façon la plus efficace possible quand les solutions préconisées par les climatologues peuvent avoir des conséquences négatives pour les écologues ? Les exemples foisonnent, les dilemmes aussi. « Le GIEC nous dit à juste titre qu’il faut réduire les gaz à effet de serre, ce qui implique entre autres de diminuer drastiquement la consommation de viande rouge, une décision qui peut aboutir à limiter les zones d’élevage, et donc la biodiversité qu’elles génèrent. Si on transformait le Jura en un vaste champ de blé, la perte de biodiversité serait considérable ! », pointe Patrick Giraudoux. De même « qu’on ne peut pas faire pousser des carottes sur le plateau tibétain », il serait impossible, pour des raisons climatiques, de cultiver durablement certaines zones au Sahel. De plus, « une monoculture végétale intensive, qui plus est en agriculture conventionnelle, impose le plus souvent le recours à des phytosanitaires qui ont un effet sur la santé des hommes et des animaux », poursuit le scientifique. Sans compter les conséquences économiques dramatiques pour les populations. Il faut donc trouver des solutions « qui, tout en étant bénéfiques pour la biodiversité, le seront aussi sur les autres fronts, sans créer des effets collatéraux négatifs », complète Sandra Lavorel.
Pas simple, on s’en doute. C’est pourtant ce à quoi se sont attelés les scientifiques qui ont évalué à l’aune de la littérature scientifique et des données connues à ce jour quelque 70 « options de réponse » dans 10 grandes catégories d’actions comme « conserver et stopper la conversion des écosystèmes intacts » ou « consommer de manière durable », ou encore « réduire la pollution et les déchets ». Objectif : « donner la combinaison la plus positive possible pour l'ensemble des domaines », indique Serge Morand.
Pour conserver les écosystèmes, par exemple, une gestion intégrée des paysages terrestres et marins, qui protège la mer autant que la terre, permet de lutter à la fois contre les effets du changement climatique, de préserver l’eau, d’assurer l’alimentation, la santé et de limiter la perte de biodiversité. En revanche, la mise en place d’une infrastructure de stockage de l'eau comporte des avantages pour lutter contre les pénuries d’eau, mais peut avoir un impact sur la santé en favorisant des organismes vecteurs de maladies virales ou du paludisme ou la propagation d’espèces invasives.
Ce rapport, qui se veut un rapport des solutions, a-t-il quelque chance d’être traduit en actions ? Les scientifiques experts de l’IPBES, qui sont aussi des chercheurs et chercheuses de terrain, en sont persuadés. « Les administrations locales, les villes, sont prêtes à adopter ce type de démarche. Elles souffrent du cloisonnement des décisions et des actions », assure Serge Morand, convaincu que « les questions de biodiversité comme les questions environnementales en général, ne se règleront pas par des décisions venues d’en haut ». A l’appui, il cite l’expérience acquise via l’initiative « One health » basée sur une vision intégrée de la santé humaine, animale, des plantes et des écosystèmes adoptée par un réseau de 9 villes européennes dont Lyon et Strasbourg au sein du programme URBACT « One Health 4 cities ». Une vision partagée par Patrick Giraudoux qui indique avoir été sollicité à de nombreuses reprises par des Agences Régionales de Santé qui ont demandé à être formées à cette approche.
Ni « recettes » ni « solutions prêtes à l’emploi », le rapport fournit à tous les décideurs une information scientifique solide et éprouvée, assure Sandra Lavorel. Sur le terrain de la biodiversité, entre scientifiques et politiques, le dialogue est ouvert.