Nanolife : observer le vivant à l’échelle nanométrique

Innovation

Après des années d’étroite collaboration, la scale-up Abbelight et l’ISMO ont officialisé leur union via la création d’un laboratoire commun : Nanolife. Une nouvelle étape vers le développement de solutions de nanoscopie à fluorescence pour l’étude de cellules vivantes.

Le 2 février dernier était inauguré le laboratoire commun Nanolife, réunissant l’Institut des sciences moléculaires d’Orsay (ISMO, CNRS/Université Paris-Saclay) et l’entreprise Abbelight. Une façon pour les deux entités d’approfondir formellement leur collaboration, qui n’a jamais cessé depuis la création de la société.

En effet, celle-ci est une spin-off de l’ISMO. Elle a été fondée en 2016, pour valoriser les résultats obtenus dans le cadre de la thèse de Nicolas Bourg, cofondateur et CTO de l’entreprise. Ces travaux de recherche étaient menés à l’ISMO, sous la direction de Sandrine Lévêque-Fort – qui a également cofondé Abbelight et en est devenue la directrice scientifique – et de Guillaume Dupuis – maître de conférences à l’Université Paris-Saclay et nommé directeur de Nanolife. « Depuis la naissance d’Abbelight, la start-up et l’ISMO ont toujours œuvré conjointement, chacun nourrissant l’autre par ses travaux », remarque ce dernier. « Le lancement de ce laboratoire commun vient simplement prolonger et officialiser la coopération entre les deux structures. »

Nanoscopie à fluorescence

Cette collaboration a déjà porté ses fruits : « Abbelight propose aujourd’hui des solutions complètes, de la préparation des échantillons à l’analyse de données, en passant par l’imagerie, pour transformer n’importe quel microscope inversé en nanoscope », résume Nicolas Bourg. « Cela signifie que nous offrons la possibilité de passer d’une résolution d’environ 200 nm à une résolution de 10 à 20 nm. » Une amélioration significative qui offre de nombreuses perspectives, en particulier dans des domaines tels que la microbiologie, les neurosciences, la génétique, l’immunologie, l’oncologie, etc.

Pour parvenir à de tels résultats, l’entreprise s’appuie sur une technique de nanoscopie appelée « Single Molecule Localisation Microscopy » (SMLM, « microscopie de localisation de molécules uniques »), dont les inventeurs ont été récompensés par le prix Nobel de chimie 2014. Son principe s’appuie sur le phénomène de fluorescence : il s’agit de marquer des structures biologiques à l’aide d’un fluorophore, c’est-à-dire une substance qui émet de la lumière de fluorescence lorsqu’il est éclairé, et d’observer le résultat obtenu sous l’effet d’un laser. « Mais si on laisse les fluorophores en l’état, ils vont tous émettre en même temps et il sera impossible d’observer chacun individuellement », explique Nicolas Bourg. « La SMLM consiste alors à "retarder" l’émission de fluorescence, de sorte que chaque tache lumineuse observée corresponde à une seule et même molécule. C’est ce qu’on appelle le photo-clignotement. »

Adapter la nanoscopie aux enjeux du vivant

C’est cette approche qui permet d’observer des cellules à une résolution dix fois meilleure qu’avec un microscope classique. Elle se heurte néanmoins à un défi majeur : comment utiliser la nanoscopie pour l’étude d’échantillons de cellules vivantes ? « En effet, afin d’obtenir le photo-clignotement indispensable à la SMLM, il faut faire baigner l’échantillon dans une solution qui n’est pas toujours compatible avec la survie des cellules à étudier. », souligne Guillaume Dupuis. Il s’agit ainsi d’un des principaux enjeux de Nanolife : développer des marqueurs fluorescents compatibles avec le vivant.

Si des premières pistes sont déjà explorées, cela ne pourra toutefois suffire. « Étant donné que nous cherchons à localiser chaque molécule individuellement, nous avons besoin de capturer un grand nombre d’images, au moins plusieurs milliers, afin de construire une image de nanoscopie », poursuit Guillaume Dupuis. « Cela peut prendre de plusieurs minutes à quelques heures. Un temps d’acquisition trop long pour étudier des cellules vivantes, donc mobiles. »

Par conséquent, l’objectif de Nanolife est de réduire considérablement ce délai, jusqu’à atteindre une résolution temporelle de l’ordre de la seconde. Mais par quels moyens ? « Pour accélérer le traitement des images, nous allons recourir à l’intelligence artificielle », annonce Nicolas Bourg. « Notre but est d’être capable d’établir des prédictions fiables, à partir d’un nombre plus restreint d’observations. » L’équipe entend ainsi développer un pôle de compétences en intelligence artificielle, les premiers recrutements ayant déjà débuté. Une problématique qui s’accompagne de réflexions autour du stockage de la donnée : le cloud n’étant pas adapté aux données potentiellement sensibles, le laboratoire commun s’intéressera également à la compression sans perte, pour limiter l’espace de stockage nécessaire.

Couvrir l’ensemble de la chaîne de valeur

Enfin, l’instrumentation optique doit aussi s’adapter à l’étude du vivant et répondre à la question suivante : comment exciter l’échantillon et capter la fluorescence le plus rapidement possible, tout en limitant les réactions phototoxiques ? « Les cellules réagissent en effet au laser un peu comme notre peau au soleil, lorsque nous nous exposons sans crème solaire », schématise Guillaume Dupuis. « Une exposition trop longue peut alors enclencher des mécanismes de mort cellulaire. » L’équipe de Nanolife a ainsi déjà commencé à travailler à cette adaptation. « Nous avons mis au point un outil d’excitation intelligente, en plaçant le laser uniquement aux endroits nécessaires et en émettant une dose compatible avec le vivant et optimisée pour la détection », indique Nicolas Bourg. « Une nouvelle approche qui requiert également des caméras plus sensibles, pour améliorer la détection. »

En définitive, le laboratoire commun Nanolife œuvre sur l’ensemble de la chaîne de valeur chère à Abbelight : de la préparation des échantillons au traitement des données, en passant par l’instrumentation optique. Avec l’ambition de mettre la nanoscopie au service de l’observation en temps réel des mécanismes liés à la vie.