Rapport Gillet : la vision d’Antoine Petit
Rôle des différents acteurs, modernisation, simplification, temps pour la recherche… Avec 14 propositions fondées sur un principe de confiance et de responsabilité, le rapport dit « Gillet » envisage « les évolutions nécessaires pour mettre en œuvre une rénovation de l’écosystème de la recherche et de l’innovation ». Il a été remis le 15 juin 2023 à Sylvie Retailleau, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, par la mission sur l’écosystème de la recherche et de l’innovation coordonnée par Philippe Gillet. Antoine Petit, président-directeur général du CNRS, revient pour nous sur les points clés du rapport.
L’une des propositions du rapport Gillet est de « mettre en place les conditions et les évolutions nécessaires » pour que les organismes nationaux de recherche (ONR) puissent « assurer le rôle d’agences de programmes » : qu’est-ce que cela signifie pour le CNRS ?
Antoine Petit : Le rapport reflète bien les discussions que j’ai pu avoir avec la Mission portée par Philippe Gillet1
. Effectivement, il propose en particulier d’ajouter aux ONR un rôle d’agences de programmes qui viendrait compléter leurs missions actuelles d’opérateurs de recherche. L’idée est de confier à chacun des principaux ONR l’animation de communautés de recherche et la définition collective d’une stratégie scientifique nationale sur quelques thématiques en lien avec les priorités nationales de France 2030. Chaque ONR en charge devra coordonner l’ensemble des acteurs concernés. L’articulation entre les communautés, les universités, organismes et autres partenaires, l’État et l’Agence nationale de la recherche sera primordiale.
Concernant notre établissement, nous pourrions avoir la responsabilité d’animer une agence sur le vaste champ « Climat, biodiversité et sociétés durables » (ce titre est encore en cours de discussion), par essence très pluridisciplinaire. Nous devrions être fixés à l’automne sur la répartition des agences entre les ONR, afin de commencer au plus vite le travail concret. Il est important de remarquer que si le périmètre de l’agence est transverse à celui des dix instituts du CNRS, il est très loin de couvrir l’ensemble de nos activités. C’est donc bien une mission complémentaire qui nous est confiée, et nullement une transformation de nos missions.
Le rapport pointe aussi la nécessité pour les agences de programmes de mener des analyses prospectives nationales. Est-ce un exercice nouveau pour le CNRS ?
A. P. : Il est écrit que les agences de programmes devront mettre en place « une activité de veille et de prospective nationales, construite collectivement entre les ONR et les établissements d’enseignement supérieur ». Le CNRS suscite et pilote déjà ce type de prospectives depuis de nombreuses années dans les domaines des sciences de l’Univers, de la physique nucléaire et des particules, ou encore de l’écologie. Des exercices similaires sont en préparation dans d’autres secteurs, notamment en chimie et en physique.
Chaque prospective est le résultat d’un travail rigoureux et collectif auquel les communautés apportent le plus grand soin. Il s’agit d’identifier les enjeux scientifiques et les thématiques émergentes et de connaître les besoins des scientifiques, de déterminer les priorités scientifiques à court, moyen et long terme, et les défis sociétaux qu’elles permettront de relever. Les agences devront alimenter la stratégie de recherche de notre pays, soutenir la prise de risque pour que la recherche contribue à l’acquisition de connaissances nouvelles déterminantes et à leur impact. Elles pourront aussi proposer de nouveaux programmes nationaux.
Les agences de programmes auront sans doute aussi un rôle de conseil auprès du gouvernement et des décideurs. L’appui à la décision publique est déjà un axe majeur de notre action publique ces dernières années. À cet égard, la Mission pour l'expertise scientifique du CNRS (MPES) – qui a commencé ses travaux début 2022 et propose des expertises scientifiques collectives, indépendantes, plurielles et impartiales – sera, pour nous, un levier du dispositif.
Que signifie l’exercice de simplification recommandé et comment va-t-il se mettre en pratique ?
A. P. : La simplification est un enjeu majeur depuis plusieurs années et tout le monde l’appelle, évidemment, de ses vœux. L’organisation même de l’ESR français, fondée sur la coopération et le management entre différentes tutelles au sein des unités mixtes de recherche (UMR), apporte une réelle plus-value. Mais il est vrai aussi qu’elle peut introduire une certaine complexité au quotidien. Les scientifiques et les agents des fonctions support ont donc des attentes fortes et légitimes, afin de simplifier leur vie et d’être collectivement plus efficaces. Les propositions du rapport sont intéressantes et visent à diminuer la charge administrative des laboratoires. Elles insistent sur la nécessité de mieux partager l’information en temps réel et d’établir un socle commun de données et d’indicateurs de pilotage, de gestion et d’évaluation. Elles viennent prolonger les efforts faits ces dernières années par les différents acteurs.
Le CNRS a déjà beaucoup œuvré pour simplifier les tâches administratives dans les laboratoires : autorisations globales de dépenses au niveau des laboratoires permettant d’engager les crédits dès que le contrat est signé, dématérialisation progressive des processus de gestion récurrents, gestion des missions, cahier de laboratoire électronique, délégation de gestion, mise à disposition des outils CNRS ayant fait leurs preuves pour tous nos partenaires… C’est un long travail, souvent en coulisse et qui ne se voit pas toujours. Le seul objectif est de faciliter la tâche aux laboratoires et de libérer du temps pour la recherche. Le rapport laisse une grande latitude d’organisation et les ONR et les universités pourront faire du sur-mesure en fonction des contextes des unités, ce qui est très bien. Ensemble, nous avons proposé plusieurs sites pilotes pour mener les expérimentations d’ici à 18 mois.
- 1Géophysicien, Philippe Gillet a dirigé l’Institut national des sciences de l’Univers du CNRS de 2001 à 2003 puis l’ENS Lyon et l’Agence nationale de la recherche avant de devenir directeur de cabinet de Valérie Pécresse, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (2007-2010). Depuis 2010, il est professeur à l’École polytechnique fédérale de Lausanne, dont il a été vice-président et président par intérim. Philippe Gillet est également président du conseil scientifique de la Région Île-de-France et président du conseil scientifique d’Inrae. Il a été membre du jury des Idex et il est directeur scientifique de l’entreprise Sicpa depuis 2017.