« L’intégration de la dimension du genre dans la recherche représente un enjeu considérable »
Coordonné par le CNRS et financé par l’Europe, le projet GENDER-NET Plus promeut l’intégration du genre dans la recherche pour produire une meilleure science. Retour sur ses enjeux avec Elisabeth Kohler, directrice de la Mission pour la place des femmes au CNRS et Mathieu Arbogast, chargé de projets.
Qu’est-ce que GENDER-NET Plus ?
Elisabeth Kohler : Le projet GENDER-NET Plus a été sélectionné dans le cadre du programme cadre pour la recherche et l’innovation de la Commission européenne, Horizon 2020. Il a démarré en 2017 et se clôturera en septembre 2023. Il est coordonné par la Mission pour la place des femmes au CNRS (MPDF)1 , réunit 14 agences de financement nationales dont l’ANR et représente 13 pays (de l’Union européenne mais aussi Israël et le Canada). L’objectif de GENDER-NET Plus était de financer des projets de recherche transnationaux (avec au moins 3 pays par projet) intégrant la dimension du genre dans la recherche. Il prolonge la dynamique de GENDER-Net (2013 à 2016), projet déjà coordonné par la MPDF qui a aidé à développer des politiques d’égalité professionnelle au sein de la recherche et l’enseignement supérieur en Europe. Mais sa spécificité est qu’il s’est attaqué à la thématique nouvelle de l’intégration du genre dans la recherche, c’est-à-dire la prise en compte du genre dans les contenus de la recherche. Lorsque ce projet a touché à sa fin, nous avons souhaité aller plus loin avec GENDER-NET Plus, soutenu à nouveau par la Commission européenne et dédié au financement de projets de recherche intégrant une dimension de sexe ou de genre. Car cette dimension représente un enjeu considérable et les recherches l’intégrant restent aujourd’hui peu nombreuses.
Mathieu Arbogast : Dans le cadre de GENDER-NET Plus, nous avons mis en place un appel à projets conjoint pour financer des projets de recherche de 4 ans définis au sein du périmètre d’Objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies : l’ODD 5) Égalité entre les sexes croisé avec les ODD 3) Bonne santé et bien-être ; 9) Industrie, innovation et infrastructure et 13) Mesures relatives à la lutte contre les changements climatiques. 13 projets - réunissant 400 chercheuses et chercheurs - ont été sélectionnés en 2018 pour un budget global de 12 millions d’euros. En février dernier, nous avons organisé une conférence de restitution pour faire un bilan des projets GENDER-NET Plus, appelée « Promoting And Implementing The Sex And Gender Dimension Into Research », qui s’est tenue à la maison Irène et Frédéric Joliot-Curie à Buxelles – lieu phare de représentation de la recherche française au siège de l’Union européenne.
Où en est-on actuellement en termes d'intégration de la dimension de genre dans la recherche et de l'innovation au niveau français et européen ?
M. A. : Le sujet est traité de façon fragmentaire, sans discours commun de la communauté scientifique sur cette thématique. Pour autant, on note une augmentation des recherches intégrant la dimension du genre dans beaucoup de domaines et de très grandes revues, comme Nature, ont mis en place des obligations spécifiques, par exemple celle d’intégrer des données des deux sexes pour le Vivant sous peine de voir sa publication rejetée. Autre exemple, le programme cadre Horizon Europe oblige désormais les scientifiques à justifier comment la dimension de sexe ou de genre est prise en compte.. Ces exemples de pressions vont accélérer les choses, même s’il manque encore une approche d’ensemble.
E. K. : Par-delà ces obligations réglementaires, il faudra mettre en place des outils pour mieux comprendre cette démarche qui vise avant tout à développer des méthodologies communes et à faire de la meilleure science. Il y a une vraie incidence sur les résultats scientifiques et leurs impacts sur la société. Par exemple, les femmes ont moins d’accidents de voiture, mais ceux-ci sont plus souvent mortels. Pourquoi ? Parce que les crash-tests sont réalisés sur des mannequins aux gabarits masculins donc très au-dessus de ceux des femmes. Les mesures de protection se développent donc autour d’un corps masculin. Autre exemple, celui des médicaments développés à destination des femmes en utilisant des tests effectués uniquement sur des souris mâles. Ou encore l’IA et la reconnaissance vocale pour laquelle la reconnaissance de la voix des femmes a longtemps été défaillante. Il existe également des enjeux en termes de traduction avec énormément de termes systématiquement traduits au masculin. Les exemples sont nombreux.
GENDER-NET Plus a organisé une conférence de restitution des treize derniers projets sélectionnés. Pouvez-vous nous donner des exemples ?
E. K. : La grande majorité des projets portent sur l’ODD 3, Bonne santé et bien-être. En effet, c’est le domaine où l’intégration du sexe biologique et du genre est la plus avancée. Le projet GBV Mig, par exemple, coordonné par une équipe française, porte sur la violence de genre au sein des parcours migratoires et notamment des parcours de migrations forcés lors de conflits. C’est un projet qui met en avant l’exposition très forte des femmes à des violences spécifiques tout en proposant une analyse des politiques de différents pays. Autre projet sur la santé, iKASCADE qui concerne les personnes âgées et les cascades de traitements entrainant des effets secondaires genrés ou encore G-DEFINER, qui étudie ces mêmes effets dans les traitements du cancer par immunothérapie
M. A. : Concernant l’ODD 9, Industrie, innovation et Infrastructure, nous avons soutenu le projet GENRE sur l’inégalité Femme-Homme dans l’écosystème entrepreneurial. Et pour l’ODD 13, mesures relatives à la lutte contre les changements climatiques, GENDER-NET Plus a financé le projet SEQUAL qui étudie les pratiques dans l’élevage pour faire face au changement climatique et constate des différences d’approches dans les pratiques selon le genre.
Le programme GENDER-NET Plus, premier outil de ce genre en Europe et à l’International, se pose comme un objet novateur qu’il faudra réitérer pour faire avancer ce message.
- 1La mission pour la place des femmes au CNRS, créée en 2001, agit comme un observatoire chargé d’impulser, de conseiller et d’évaluer la prise en compte du genre dans la politique globale de l’établissement.