Au Havre, on voit plus loin sur les épaules des géants
Le CNRS était partenaire du festival de culture scientifique « Sur les épaules des géants », organisé par la ville du Havre du 22 au 24 septembre 2022. Une première édition réussie qui devrait être reconduite l’an prochain.
« L’opération « Sur les épaules des géants » est une de ces initiatives qui offre au CNRS et à ses équipes la possibilité d’amplifier sa mission de recherche au service de la société. », explique Antoine Petit, président-directeur du CNRS. Organisé par la ville du Havre avec le CNRS, le Collège de France et l’Université Le Havre Normandie, le festival se voulait « un événement qui ouvre les portes de la science au plus grand nombre », afin de « démocratiser les sciences et diffuser les savoirs », selon le maire Édouard Philippe.
« Les défis que nous avons à relever sont impérieux pour l’avenir de notre planète et de l’humanité toute entière. La connaissance scientifique est un des leviers de cet avenir et doit être largement partagée, c’est ainsi qu’elle sera mieux comprise donc utile. », confirme Antoine Petit, ajoutant que l’organisme « s’y efforce, avec une politique ambitieuse pour améliorer la médiation scientifique et expliquer la démarche scientifique », avec l’objectif de mettre la science et la recherche fondamentale au service de la société.
Inclure la science dans la culture
Pendant trois jours, du 22 au 24 septembre, se sont donc succédé 61 rendez-vous pour cette première édition : tables rondes, conférences, ateliers, rencontres, représentations théâtrales, expositions… Des formats variés pour inviter tous les publics à se joindre aux « géants et géantes » de la science, et à la quarantaine de scientifiques modernes, assis sur leurs épaules, qui ont présenté leurs travaux. Plus de 6400 personnes de tout âge ont finalement participé.
Deux thèmes ont structuré les trois journées. D’une part, le monde de la recherche, thème décliné en la démarche scientifique et sa transmission au grand public, la parole scientifique dans le débat public, la place des femmes en sciences, les différents parcours des chercheurs et chercheuses, etc. D’autre part, le vent, de son rôle dans le climat ou comme source d’énergie, au vent solaire et aux navigateurs. Un grand entretien avec Thomas Pesquet a également enthousiasmé les foules : l’astronaute français a décrit en détails sa dernière mission à bord de la station spatiale internationale et répondu aux questions des petits comme des grands, en insistant sur le fait que « la culture scientifique n'est pas réservée aux scientifiques ». À l’ouverture, Antoine Petit a également ajouté qu’au CNRS, « chacun et chacune apporte sa pierre à la construction de ce bien commun qu'est le savoir », explicitant ainsi le nom du festival avant de laisser le mathématicien Cédric Villani, aujourd’hui notamment chercheur au Laboratoire Alexander Grothendieck1 , raconter les « vents agités de la découverte scientifique ».
- 1CNRS/IHES.
Des chercheurs et chercheuses du CNRS, comme des doctorantes et doctorants, ingénieures et ingénieurs, enseignantes-chercheuses et enseignants-chercheurs issus de laboratoires dont le CNRS est une tutelle, sont intervenus dans les différents événements, pour partager leur passion, leur parcours, leurs défis et leurs connaissances. Jean-Michel Courty, lauréat de la première médaille de la médiation scientifique du CNRS, et Édouard Kierlik2 ont ainsi animé des ateliers où petits et grands ont pu expérimenter avec eux sur les tornades et tourbillons. Chercheur au laboratoire Astrophysique, instrumentation, modélisation3 , et vulgarisateur reconnu, Roland Lehoucq a proposé des récréations scientifiques sur des notions comme l’énergie, la gravité ou l’effet de serre, tandis que, par exemple, Isabelle Sourbes-Verger, directrice de recherche CNRS au Centre Alexandre Koyre4 , a fasciné avec ses récits de l’histoire de l’exploration spatiale.
Plus de 6400 participants
Autre temps fort pour l’organisme : une table ronde sur le thème « Faire confiance à la science » (voir focus) a rassemblé Françoise Combes, médaille d’or du CNRS en 2020, Jean-Noël Castorio, vice-président de l’Université Le Havre Normandie, Bruno Maquart, président d’Universcience, ainsi qu’Alain Schuhl, directeur général délégué à la science du CNRS. Celui a notamment incité les participants à « investir » le temps et l’énergie nécessaire pour s’intéresser aux sciences et « devenir des citoyens éclairés », car « les questions scientifiques et démocratiques deviennent de plus en plus complexes et de plus en plus liées ».
Dans son allocution de clôture, l’adjoint au maire Jean-Baptiste Gastinne s’est dit ravi d’avoir pu « faire passer quelques instants sur les épaules des géants » aux habitants de la région et à ceux qui s’étaient déplacés de plus loin. Espérant que l’événement soit renouvelé, il a donné rendez-vous à tous l’an prochain.
- 2Jean-Michel Courty et Édouard Kierlik sont professeurs à Sorbonne Université, le premier au Laboratoire Kastler Brossel (CNRS/Collège de France/ENS/Sorbonne Université) et le second au Laboratoire de physique théorique de la matière condensée (CNRS/Sorbonne Université).
- 3CNRS/CEA/Université Paris Cité.
- 4Centre Alexandre Koyre / Histoire des sciences et des techniques (CNRS/EHESS/Museum national d’histoire naturelle).
Doit-on faire confiance à la science ?
Fake news, complotisme, erreurs de communication… Dans une table ronde, Jean-Noël Castario, vice-président de l’Université Le Havre Normandie, Bruno Maquart, président d’Universcience, Alain Schuhl, directeur général délégué à la science du CNRS, et l’astrophysicienne Françoise Combes, professeure au Collège de France, ont échangé sur le thème « Faire confiance à la science ».
Pour cette dernière, la méfiance d’une partie du grand public envers la science serait le résultat « d’une méconnaissance, un malentendu » qui justifient l’importance d’un événement de partage de la culture scientifique tel que Sur les épaules des géants. « Les scientifiques doivent se mettre à la portée du plus grand nombre », insiste-t-elle, en explicitant la démarche scientifique et en montrant la science en train de se faire, avec ses remises en question mais aussi la « base solide » des nombreux faits aujourd’hui établis, démontrés et incontestables.
Un message repris par les autres intervenants, dont Jean-Noël Castorio pour qui la forte spécialisation des scientifiques d’aujourd’hui crée un décalage entre l’expertise scientifique et les besoins du discours médiatique. « Nous avons besoin d’intégrer l’apprentissage de la capacité à s'exprimer dans les médias dans les cursus universitaires », constate-t-il.
De son côté, Bruno Maquart note « l’appétit du public pour les sciences » qu’il voit dans son institution, qui rassemble le Palais de la découverte et la Cité des sciences et de l’industrie à Paris. « Pour devenir citoyen, il est important d’apprendre à apprendre et à douter de manière productive comme le font les scientifiques », déclare-t-il, appelant à être curieux, à poser des questions et à développer son esprit critique.
« Au-delà des connaissances, il faut enseigner la démarche scientifique, de l’école primaire à l’université », a également appuyé Alain Schuhl. Il reconnaît aussi que, durant la crise du Covid-19, « sous la pression des médias, certains scientifiques sont sortis de leur champ de connaissance et ont donné leur opinion de citoyen sans préciser ce changement de posture », ce qui a pu « faire du mal à la vision qu’a la société de la science ». En effet, « le rôle du scientifique est de faire avancer les connaissances et d’éclairer les décideurs politiques, représentant la société, sans prendre part à leurs décisions ».
La question des budgets a aussi été évoquée : en France, la grande majorité des financements de la recherche (dont salaires) est d’origine publique, ce qui est « capital pour l’indépendance de la science », relève Alain Schuhl. Au CNRS, les collaborations industrielles représentent ainsi moins de 3 % des fonds disponibles.