Australie : le CNRS ouvre son dixième Bureau à l’étranger
Zone de multiples collaborations scientifiques et porteuse de thématiques fortes telles que le polaire, le corail ou encore la radioastronomie, le CNRS implante un nouveau bureau en Australie. Son directeur Jean-Paul Toutain nous en décrit les ambitions.
Pourquoi le CNRS a-t-il fait le choix d’ouvrir un Bureau à Melbourne ?
Jean-Paul Toutain1 : Depuis 2019, l’ASEAN2 et l’Océanie constituaient la zone de compétence du Bureau du CNRS de Singapour, que j’ai dirigé de 2019 à fin 2021. L’examen des principaux indicateurs d’intensité des partenariats a rapidement démontré que l’Océanie – avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande principalement - représentait environ 60 % de l’ensemble de l’activité de la zone, tant en nombre de co-publications, de missions de chercheurs et de dispositifs structurants. L’intérêt de la communauté scientifique française pour cette région, d’importance majeure pour la France dans le cadre de sa stratégie indo-pacifique, était démontré. Cette période correspondait au lancement du premier International Research Laboratory3 (IRL) en Australie, CROSSING sur les collaborations entre machines, humains et intelligences artificielles, à Adélaïde, et au lancement de la filiale CNRS@CREATE à Singapour, avec à sa tête Dominique Baillargeat4 . Le dispositif bicéphale (bureau et filiale) singapourien devenant difficilement lisible pour nos partenaires, nous avons développé le projet de scinder la zone ASEAN-Océanie, et de dédier un nouveau bureau à nos relations avec les pays de l’Océanie. Le bureau de Singapour, désormais en charge de l’ASEAN et de la filiale CNRS@CREATE sont désormais dirigés par Dominique Baillargeat, et nous avons créé le Bureau du CNRS à Melbourne, avec compétence sur la zone Océanie, dont j’ai pris la tête. Ce Bureau est le dixième, après l’ouverture du Bureau du CNRS à Ottawa, au Canada.
Quels sont les partenaires du CNRS sur place ?
J-P. T. : La mise en place du bureau de Melbourne a été fortement encouragée et soutenue par Invest Victoria, le Département des finances et du commerce de l’État de Victoria, qui subventionne notre installation, et l’université de Melbourne qui, elle, héberge le bureau.
Plus globalement, la plupart des universités australiennes et un certain nombre de centres de recherche australiens sont nos partenaires scientifiques. Nous avons développé des partenariats avec la totalité des universités du Group of Eight5 (Go8), le regroupement des huit universités de recherche intensive australiennes. Nous avons par exemple engagé des Joint PhD Programs6 avec l’Université nationale australienne à Canberra et l’Université de Melbourne. Une deuxième cohorte de sujets est d’ailleurs en voie de sélection avec cette dernière université. Enfin, autre activité phare du CNRS en Australie, nous avons lancé l’IRL CROSSING en partenariat avec les trois universités situées à Adélaïde (Universités d’Adélaïde, d’Australie du Sud, Flinders), IMT Atlantique et Naval Group.
Et puis bien entendu, comme pour tous les bureaux du CNRS à l’étranger, la relation avec l’ambassade de France dans le pays, et plus particulièrement avec son service de coopération et d’action culturelle (SCAC) est primordiale. L’interaction avec le SCAC permet de mieux prendre en compte et valoriser dans nos démarches et actions la diversité de l’ESR français et la complémentarité de ses acteurs avec le CNRS.
Quels sont les grandes thématiques scientifiques que porte l’Australie et plus largement l’Océanie ? Comment le CNRS y est impliqué ?
J-P. T. : Le CNRS dispose aujourd’hui d’un IRL, de 12 IRP7 , 5 IRN8 et 5 IEA9 dans la région, la plupart dans les domaines de l’informatique, de la physique, de l’environnement et la santé, de l’écologie, des SHS, de la biologie, de l’énergie, des géosciences, du climat, et de l’astronomie.
Également, des partenariats riches et de très long terme se développent hors des dispositifs du CNRS, dans les domaines de l’océan austral et du polaire : nous avons des partenariats très forts avec l’Université de Tasmanie, le Commonwealth Scientific and Industrial Research Organisation10 (CSIRO) et l’Antarctic Division11 , basés à Hobart. C’est d’ailleurs la base de l’Astrolabe, patrouilleur et navire logistique français armé par la Marine nationale et mis à disposition de l’Institut polaire français Paul-Émile Victor qui effectue des mesures océanographiques et permet des rotations régulières vers la base antarctique Dumont D’Urville. Enfin, il existe une forte coopération logistique entre la France et l’Australie qui permet de mutualiser implantations et capacités de transport en Antarctique.
Suite à la décision du président de la République Emmanuel Macron d’engager la France comme membre de l’organisation internationale SKAO12 (Square Kilometre Array Observatory), la radioastronomie devient l’un des domaines présentant le potentiel de développement de partenariats le plus important avec l’Australie, surtout concernant le calcul (pour les infrastructures), l’énergie (avec l’utilisation de l’hydrogène), et bien sûr l’astronomie proprement dite avec l’étude du milieu interstellaire. Une coopération d’importance entre le CNRS et le groupe ATOS13 pourrait avoir un rôle très important dans le développement des moyens de calcul de SKAO. A noter que ces perspectives s’inscrivent au sein d’une collaboration franco-australienne de très long terme en astronomie et instrumentation.
Enfin, citons le corail, domaine également d’importance. Au CNRS, le principal acteur est le Centre de Recherches Insulaires et Observatoire de l’Environnement14 (CRIOBE) qui, depuis 2010, pilote le Laboratoire d’Excellence CORAIL rassemblant 9 institutions et 4 universités d’outre-mer. Il anime également l’une des 5 stations du Réseau National des stations d'écologie expérimentale de l’INEE : le RéNSEE. Le CRIOBE maintient un partenariat fort avec le CSIRO et Curtin University (Perth, Australie).
Comment le bureau va-t-il soutenir et encourager les liens avec les laboratoires d’outre-mer française ? Et plus généralement dans la région, notamment avec la Nouvelle-Zélande ?
J-P. T. : Concernant l’outre-mer, mon rôle consistera principalement à faciliter et favoriser les liens entre les laboratoires hébergés par les deux universités françaises du Pacifique -l’Université de Polynésie française et l’Université de Nouvelle-Calédonie - et faire la promotion du Fonds Pacifique15 , en partenariat avec l’ambassade de France.
En Nouvelle-Zélande, les outils du CNRS sont assez développés avec 3 IRP qui évoluent dans les domaines de la physique et de l’adaptation des écosystèmes au changement climatique. Alors que les coopérations entre les universités australiennes et néo-zélandaises sont très fortes, il serait intéressant de développer des partenariats croisés avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande. De plus, il existe des partenariats croisés du CNRS en Australie et en Nouvelle-Zélande avec les territoires français du Pacifique. Par exemple, l’IRP VinAdapt, sur les agrosystèmes et le changement climatique, a obtenu un projet du Fonds Pacifique avec son partenaire néo-zélandais, l’Université de Canterburry et l'Institut Agronomique Néocalédonien (IAC).
Quels sont les objectifs du bureau à long terme ?
J-P. T. : Le bureau doit dans un premier temps accompagner la reprise des activités bilatérales. La pandémie et la fermeture complète des frontières australiennes et néo-zélandaises a eu des effets très négatifs sur de nombreux partenariats. Il faut reconnaître que les dispositifs structurants qui évoluent sur le long terme (IRP, IRN, IRL) ont joué pleinement leur rôle, permettant de maintenir des liens forts même en l’absence de mobilité des acteurs. En revanche, l’effet sur les nouveaux projets a été plus sévère. Les projets financés dans le cadre des IEA en 2019 et 2020 ont à peine débuté, et la pandémie a clairement diminué l’appétence des chercheurs pour en proposer de nouveaux. Il faut donc retrouver, grâce à la réouverture des frontières, un niveau d’échanges important et relancer la machine pour voir de nouveaux partenariats apparaître.
Le rôle du bureau sera également de soutenir les dispositifs actuels qui ont fait la preuve de leur résilience et qui pourraient vouloir se développer. Les démarches de renforcement de l’IRL CROSSING, projet désormais le plus visible en Australie, devront également être appuyées. Bien sûr, le bureau observerait avec intérêt d’éventuels projets d’ouverture de nouveaux IRL qui permettraient d’asseoir la présence du CNRS en Océanie. Et puis je mentionnerai le soutien aux projets phare du CNRS, mais également des autres institutions de l’ESR français dans la région (océan austral, polaire, astronomie), aux projets impliquant les laboratoires des territoires ultra-marins, à la mise en place de partenariats croisés avec les dispositifs CNRS implantés à Singapour permettant des échanges de chercheurs et étudiants, et enfin le soutien aux projets dans des domaines d’intérêt mutuel évident (secteur de l’énergie en général et de l’hydrogène en particulier).
- 1Volcanologue et géochimiste des fluides, Jean-Paul Toutain a débuté sa carrière à l’Institut de Physique du Globe comme directeur de l’observatoire volcanologique du Piton de la Fournaise. A l’Observatoire Midi-Pyrénées, il a développé des recherches sur les processus de dégazage volcanique et s’implique dans des programmes de surveillance. Il a mis en place en 2008 le site instrumenté VELI (Volcans Explosifs Laboratoires Indonésie), labellisé par l’INSU. Il a ensuite été représentant de l’Institut de Recherche pour le Développement et correspondant de l’Université Fédérale de Toulouse en Indonésie de 2010 à 2015, puis attaché pour la science et la technologie à l’ambassade de France en Afrique du Sud jusqu’en 2019 et directeur du bureau CNRS pour l’ASEAN et l’Océanie, basé à Singapour.
- 2ASEAN : L’association des nations de l’Asie du Sud-Est comprend l’Indonésie, la Malaisie, les Philippines, Singapour, la Thaïlande, le Brunel, le Viêt Nam, le Laos, la Birmanie et le Cambodge.
- 3Ces outils structurent en un lieu identifié la présence significative et durable de scientifiques d’un nombre limité d’institutions de recherche françaises et étrangères (un seul pays étranger partenaire).
- 4Directeur du laboratoire XLIM (CNRS/Université de Limoges) de 2013 à 2019 et du Labex Sigma-Lim de 2014 à 2019, Dominique Baillargeat a été nommé directeur exécutif scientifique de CNRS@ CREATE en 2019.
- 5Le Go8 comprend l’Université de Melbourne, l’Université nationale australienne, l’Université de Sydney, l’Université du Queensland, l'Université de Nouvelle-Galles du Sud, Monash University, l’Université d’Australie-Occidentale, l’Université d’Adélaïde.
- 6L’objectif du Joint PhD Program est de faire travailler deux équipes, l’une française, l’autre internationale, sur un projet commun de recherche et de formation doctorale.
- 7Ces projets de recherche collaborative, entre un ou plusieurs laboratoires du CNRS et des laboratoires d’un ou deux pays étrangers, consolident des collaborations déjà établies.
- 8Ces outils structurent une communauté scientifique à l’international, composée d’un ou plusieurs laboratoires français, dont au moins un laboratoire du CNRS, et de plusieurs laboratoires à l’étranger, autour d’une thématique partagée ou d’une infrastructure de recherche.
- 9Les International Emerging Actions sont des projets menés par un porteur rattaché à une unité du CNRS et un porteur affilié à une institution de recherche étrangère dont la finalité est l’exploration de nouveaux champs de recherche et de nouveaux partenariats à l’international.
- 10Organisme gouvernemental australien pour la recherche.
- 11Département du ministère australien de l’Agriculture, de l’Eau et de l’Environnement, en charge de la gestion des stations et territoires australiens de l'Antarctique et du sub-Antarctique.
- 12Projet de radiotélescope géant.
- 13Groupe spécialisé dans la transformation digitale.
- 14CNRS/École pratiques des Hautes Etudes/Université de Perpignan.
- 15Créé en 1985, le Fonds de coopération économique, sociale et culturelle pour le Pacifique dit "Fonds Pacifique", est le principal instrument de coopération régionale de la France dans le Pacifique. Financé par des crédits du Ministère des Affaires Étrangères, il contribue à l’insertion régionale de la Nouvelle-Calédonie, de la Polynésie française et des îles Wallis-et-Futuna.