Renforcer l’attractivité de l’Europe de la recherche
Un colloque sur la mobilité des chercheurs a été organisé le 7 mars par le CNRS, dans le cadre de la Présidence française du Conseil de l’Union européenne. L’occasion d’échanger sur les critères essentiels pour attirer les talents du monde entier dans les institutions de recherche européennes.
Dans le monde, 40 % des chercheurs et chercheuses ayant quitté leur pays d’origine y reviennent ultérieurement. D’après une enquête réalisée par la Commission européenne, ce quota oscille entre 25 et 50 % sur le vieux continent. Pour autant, en Chine, il avoisine les 60 %. Dans la balance délicate entre « brain drain » et « brain gain », cet éventuel retour aux sources joue un rôle clé. Au point de devenir critique. C’est le cas dans la majorité des pays du sud et de l’est de l'Europe qui perdent aujourd’hui plus de chercheurs qu’ils n’en recrutent. Plongés dans cette course mondiale, les organismes de recherche sont forcés de s’interroger : comment faire pour attirer des talents ?
C’est pour échanger autour de cette thématique que le CNRS a organisé, le 7 mars dernier, « Leur choix c’est l’Europe », un évènement entièrement en ligne rassemblant de nombreux témoignages de scientifiques et de patrons de recherche comme Antoine Petit, président-directeur général du CNRS, Martin Stratmann, président de la société allemande Max-Planck ou encore Karen Maex, rectrice de l’Université d’Amsterdam et présidente de la Ligue des universités européennes de recherche (LEUR). L’objectif était d'explorer les enjeux de mobilité, de dispositifs d'attractivité et de construction de l’espace européen de la recherche auxquels est confronté l'ensemble des acteurs de la recherche, les universités comme les membres du réseau G6 qui regroupe les principaux organismes de recherche européens1 .
Tout faire pour un meilleur « package d’accueil »
Recherche, excellence et mobilité sont intrinsèquement liées. Lors de la première table ronde, les participants ont énuméré les qualités pour attirer de nouveaux chercheurs. Actuellement, 30 % des scientifiques recrutés par le CNRS ont un passeport étranger2 . Même si l’organisme français est très attractif, son P.-D.G. voit une « faiblesse » dans son offre de recrutement : le montant de son « package d’accueil », la bourse offerte à chaque nouvel entrant. « Si nous voulons rester attractifs, nous devons rivaliser sur ces aspects avec nos concurrents qui proposent des avantages bien supérieurs au nôtre. En effet, au CNRS, nous avons une enveloppe d’environ 10 000 €, je pense que nous devrions offrir 20 fois cette somme. Cela représenterait 50 millions d’euros, ce qui peut paraître beaucoup, mais en réalité, c’est moins de 1,5 % de notre budget. »
Martin Stratmann a quant à lui insisté sur l’importance d’une « visibilité internationale » pour attirer des talents de haut niveau. Parmi les principaux facteurs d’attractivité : la qualité de l’environnement de travail offerte aux chercheurs, la qualité de vie - qui est un atout européen—les perspectives d’évolution de carrière, la facilité d’obtention de visas ou encore l’usage de l’anglais dans les laboratoires. Karen Maex a par ailleurs rappelé que pour certaines disciplines, comme l’intelligence artificielle, la compétition sur l’attractivité se joue également avec les grandes entreprises de technologies (GAFAM). « Le salaire n’est pas la seule raison de venir dans nos institutions. On voit des chercheurs en IA revenir vers le milieu académique alors qu’ils pourraient gagner dix fois plus dans le privé. C’est parce nous sommes les seuls à offrir cette liberté de recherche ». Une déclaration commune du réseau du G6 avait notamment porté sur l’importance de la liberté de recherche.
Enfin, l’Europe dispose d’outils de financement de qualité pour attirer les chercheurs non-européens dans ses territoires. À ce titre, le Conseil européen de la recherche3 (ERC) — dont le budget avoisine les 16 milliards d’euros sur sept ans — est mondialement reconnu pour son soutien à une recherche fondamentale d’excellence. Moins médiatisée en dehors de l’Europe, l’action Marie Sklodowska-Curie4 qui encourage la mobilité des chercheurs entre pays est aussi un programme attractif.
Bilan sur l’attractivité des talents
« Il faut voir la mobilité comme une voie à double sens, il ne s'agit pas seulement d'attirer les meilleurs talents, mais aussi d’en perdre pour créer des échanges gagnant-gagnant de talents égaux », a souligné dans la matinée Reinhilde Veugelers, professeur d'économie managériale, de stratégie et d'innovation à la Katholieke Universiteit Leuven. Des propos qui ont fait écho à ceux de la Commission européenne. L’événement était l’occasion pour cette dernière d’exposer les résultats de son enquête sur la mobilité européenne et mondiale. Celle-ci met en évidence des échanges déséquilibrés entre grandes puissances en matière de recherche et développement. Davantage de chercheurs chinois viennent en Europe plutôt que l’inverse ; alors que plus d’Européens partent pour les États-Unis que le contraire. Cette enquête dévoile également que la mobilité des chercheurs engendre une augmentation du nombre de co-publications internationales et de leurs citations. Par effet d’entraînement, cela signifie qu’attirer des scientifiques de l’étranger facilite les collaborations internationales, ce qui accroît la visibilité de la recherche et des institutions et permet ainsi d’attirer plus de talents. Le défi étant de réussir à amorcer ce cercle vertueux.
Que retenir de “Make our planet great again”?
L’initiative Make our Planet Great Again (MOPGA), lancée en 2017 suite au retrait des États-Unis de l’Accord de Paris sur le climat, a permis à des chercheurs de haut niveau de poursuivre des recherches innovantes sur le changement climatique dans des laboratoires français. Résultat : 43 lauréats5 ont vu leurs projets financés pour une durée de 5 ans. Ce programme a été repris par l’Allemagne qui a accompagné 13 chercheurs. Depuis, la moitié de ces scientifiques a obtenu un poste permanent en France, tout comme un tiers d’entre eux outre Rhin.
Parmi les enseignements à retenir de cette initiative : son montant compétitif et sa flexibilité avec la possibilité de rejoindre le laboratoire de son choix au sein du pays d’accueil. « Cette bourse m'a aussi permis de faire plus de travail sur le terrain et au sein du GIEC6 . J'ai pu rendre davantage à la société grâce à ce programme. Cela n'aurait pas été possible avant, car il y a une réticence à travailler avec les décideurs politiques dans les institutions américaines de haut niveau », explique la chercheuse américaine, Camille Parmesan, basée à la Station d’écologie théorique et expérimentale du CNRS7 .
Mais il reste plusieurs aspects à perfectionner. En ligne de mire : l’organisation de la recherche en Europe diffère totalement d’un pays à l’autre au point de compromettre les opportunités de mobilité. L’accompagnement des scientifiques, l’accès à des formations ou des réseaux ciblant ces problèmes doivent, de ce fait, être renforcés.
La durée des projets pourrait également être allongée pour laisser le temps aux chercheurs de s’adapter aux subtilités administratives locales. Cela leur permettrait surtout de monter leurs équipes, développer un réseau avec d’autres lauréats et accroître la visibilité du programme et de leur travail plus sereinement.
Mieux promouvoir les opportunités de recherche en Europe
Un programme comme MOPGA peut inspirer la Commission européenne (CE) dans sa quête actuelle à l’amélioration de l’espace européen de la recherche (EER) - un espace unifié qui dépasse les frontières de l’Union européenne. La création d’un véritable marché intérieur de la recherche est ainsi en cours de discussion. Il facilitera la libre circulation des talents, des connaissances scientifiques et des technologies. « Nous souhaitons être un catalyseur dans la mise en place de bonnes conditions qui soutiendraient et encourageraient la mobilité en Europe », a ainsi déclaré Maria-Cristina Russo, directrice de l’Approche globale et partenariats internationaux à la Commission.
La plateforme Euraxess accompagne déjà les chercheurs souhaitant travailler en Europe. À cela, devrait s’ajouter de nouvelles fonctionnalités en cours d’élaboration, à commencer par le développement d’une cartographie de bonnes pratiques en matière d'emploi, de progression de carrière, de formation, de création d’entreprises, de politiques sociales, ou encore la reconnaissance de la profession elle-même. « L’objectif est d’avoir une approche interopérable entre les parcours de carrière possibles en Europe, au sein et en dehors du milieu universitaire, pour faciliter l’accès à ces informations aux chercheurs mobiles », a précisé Apostolia Karamali, cheffe de l’unité Acteurs de la recherche et innovation, et carrières des chercheurs au sein de la Commission européenne.
À terme, le nouvel EER devrait également coordonner les systèmes de recherche et innovation nationaux ou régionaux, mais aussi soutenir les collaborations internationales. La Commission espère ainsi stimuler la mobilité des chercheurs en Europe.
- 1Le réseau G6 regroupe les principaux organismes de recherche européens - CNR, CNRS, CSIC, Helmholtz Association, Leibniz Association et Max Planck Society -, et représente 135 000 collaborateurs.
- 2En 2020, 34% des nouveaux recruté(e)s avaient un passeport étranger.
- 3Financement proposé dans le cadre du programme-cadre Horizon Euroe permettent de soutenir des projets de recherche exploratoire sur une durée maximale de 5 ans.
- 4Les Actions Marie Skłodowska-Curie proposent des bourses individuelles aux chercheurs qui souhaitent booster leur carrière en travaillant à l'étranger au sein d’organismes de recherche publics ou des entreprises.
- 5dont 21 proviennent d'un laboratoire américain.
- 6Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat.
- 7SETE, CNRS et université Toulouse-III Paul Sabatier.