Les astronomes capturent l’image du champ magnétique au bord du trou noir de M87
|
La collaboration Event Horizon Telescope (EHT), qui a produit la toute première image d'un trou noir, a révélé aujourd'hui en lumière polarisée l'objet massif au centre de la galaxie M87. C'est la première fois que des astronomes mesurent la polarisation, signature du champ magnétique, si près du bord d'un trou noir. Ces observations sont essentielles pour expliquer comment la galaxie M87, située à 55 millions d'années-lumière, est capable de produire des jets énergétiques à partir de son noyau. L’institut de radioastronomie millimétrique (IRAM), fondé en 1979 par le CNRS et la Max-Planck-Gesellschaft (MPG, Allemagne)1 , a joué un rôle clé dans ce résultat via son télescope de 30 mètres, situé près de Grenade, l’antenne unique la plus sensible du réseau EHT. Les résultats sont publiés dans The Astrophysical Journal Letters.
- 1Rejoints en 1990 par l’Instituto Geográfico Nacional (IGN, Espagne)
« Nous avons désormais sous les yeux le nouvel élément crucial pour comprendre comment le champ magnétique se comporte autour des trous noirs, et comment l'activité dans cette région très compacte de l'espace peut produire de puissants jets qui s'étendent bien au-delà de la galaxie », déclare Monika Mościbrodzka, coordinatrice du Groupe de travail sur la polarimétrie de l’EHT et professeur assistant à l'Université Radboud aux Pays-Bas.
Le 10 avril 2019, les scientifiques publiaient la toute première image d'un trou noir, révélant une structure brillante en forme d'anneau avec une région centrale sombre, l'ombre du trou noir. Depuis, la collaboration EHT a approfondi l’examen des données sur l'objet supermassif au cœur de la galaxie M87 recueillies en 2017. Ils ont découvert qu'une part importante de la lumière autour du trou noir M87 est polarisée.
« Ce travail est une étape majeure : la polarisation de la lumière contient des informations qui nous permettent de mieux comprendre la physique derrière l'image que nous avons vue en avril 2019, ce qui n'était pas possible auparavant », explique Iván Martí-Vidal, également coordinateur du Groupe de travail sur la polarimétrie de l’EHT et chercheur émérite à l'Université de Valence en Espagne. Il ajoute que « produire cette nouvelle image en lumière polarisée a nécessité des années de travail en raison des techniques complexes nécessaires à l'obtention et l'analyse des données ».
La lumière se polarise lorsqu'elle passe à travers certains filtres, comme les verres de lunettes de soleil polarisés, ou lorsqu'elle est émise dans des régions chaudes de l'espace qui sont magnétisées. De la même manière que les lunettes de soleil nous aident à mieux voir en réduisant les reflets et l'éblouissement des surfaces lumineuses, les astronomes peuvent améliorer leur observation de la région autour du trou noir en regardant comment la lumière qui en provient est polarisée. Plus précisément, la polarisation permet aux astronomes de cartographier les lignes de champ magnétique près du trou noir.
« Les images polarisées récemment publiées sont essentielles pour comprendre comment le champ magnétique permet au trou noir de ’’gober’’ de la matière et de produire de puissants jets », déclare Andrew Chael de la collaboration EHT, du Princeton Center for Theoretical Science et de la Princeton Gravity Initiative aux États-Unis.
Les jets lumineux d’énergie et de matière qui émergent du noyau de M87 et s’étendent sur au moins 5 000 années-lumière à partir de son centre sont l’un des phénomènes les plus mystérieux et les plus énergétiques de la galaxie. La majeure partie de la matière se trouvant près d'un trou noir est absorbée. Cependant, certaines des particules environnantes s'échappent quelques instants avant d’être capturées et sont soufflées loin dans l'espace sous la forme de jets.
Les astronomes se sont appuyés sur différents modèles de comportement de la matière aux abords du trou noir pour mieux comprendre ce processus. Mais ils ne savent toujours pas exactement comment des jets plus grands que la galaxie elle-même sont émis depuis sa région centrale, qui est aussi petite que le Système solaire, ni comment la matière tombe dans le trou noir. Avec la nouvelle image EHT du trou noir et de son ombre en lumière polarisée, les astronomes ont réussi pour la première fois à examiner la région immédiatement à l'extérieur du trou noir où se produit cette interaction entre la matière absorbée et celle qui est éjectée.
Ces observations fournissent de nouvelles informations sur la structure du champ magnétique aux abords immédiats du trou noir. L'équipe a constaté que seuls les modèles théoriques impliquant un gaz fortement magnétisé peuvent expliquer ce que l’on voit près de l'horizon des événements1 .
« Les observations suggèrent que le champ magnétique au bord du trou noir est suffisamment puissant pour repousser le gaz chaud et l’aider à résister à la force de gravité. Seul le gaz qui passe à travers le champ magnétique peut franchir l'horizon des événements », explique Jason Dexter, professeur assistant à l'Université du Colorado à Boulder aux États-Unis, et coordinateur du groupe de travail théorique de l’EHT.
Pour observer le cœur de la galaxie M87, la collaboration a relié huit télescopes à travers le monde, dont le télescope de 30-mètres de l’IRAM situé dans la Sierra Nevada espagnole, l’antenne unique la plus sensible de ce réseau, co-financée par le CNRS, l’interféromètre ALMA et le télescope APEX de l’ESO, dont la France est l’un des états membres, pour créer un télescope virtuel de la taille de la Terre, l'EHT. L'impressionnante résolution obtenue avec l'EHT est équivalente à celle nécessaire pour mesurer la longueur d'une carte de crédit à la surface de la Lune.
Cela a permis à l'équipe d'observer directement l'ombre du trou noir et l'anneau de lumière qui l'entoure, la nouvelle image en lumière polarisée montrant clairement que l'anneau est magnétisé. Les résultats sont publiés dans deux articles distincts dans The Astrophysical Journal Letters par la collaboration EHT. La recherche a impliqué plus de 300 chercheurs de nombreuses organisations et universités du monde entier.
« Le télescope de 30 mètres de l’IRAM joue un rôle clé dans l'EHT et ouvre des perspectives inédites, jusqu'alors inaccessibles et probablement inattendus sur la physique au bord des trous noirs », conclut Frédéric Gueth, chercheur CNRS et directeur adjoint de l'IRAM.
La liste des télescopes du réseau EHT : ALMA, Apex, le télescope de 30 mètres de l’IRAM, le James Clerk Maxwell Telescope, le Large Millimeter Telescope Alfonso Serrano, le Submillimeter Array, le Submillimeter Telescope et le South Pole Telescope.
Les treize instituts partenaires composant le consortium EHT : l'Academia Sinica Institute of Astronomy and Astrophysics, l'Université d'Arizona, l'Université de Chicago, l’East Asian Observatory, le Goethe-Universitaet de Frankfurt, l’IRAM, le Large Millimeter Telescope, le Max Planck Institute for Radio Astronomy, le MIT Haystack servatory, le National Astronomical Observatory of Japan, le Perimeter Institute for Theoretical Physics, Radboud University and the Smithsonian Astrophysical Observatory.
- 1L’horizon des événements d’un trou noir est la limite à partir de laquelle rien, pas même la lumière, ne peut échapper à son champ gravitationnel.
First M87 Event Horizon Telescope Results VII: polarization of the ring. The EHT collaboration. The Astrophysical Journal Letters, le 24 mars 2021. https://doi.org/10.3847/2041-8213/abe71d
First M87 Event Horizon Telescope Results VIII: Magnetic Field Structure Near The Event Horizon. The EHT collaboration. The Astrophysical Journal Letters, le 24 mars 2021. https://doi.org/10.3847/2041-8213/abe4de