L’individualité des souris est influencée par leur entourage
L’individualité existe chez tous les animaux, et plusieurs facteurs la façonnent au cours du temps. C’est le cas de l’environnement social pour les souris comme viennent de le montrer des chercheurs du CNRS, de l’Inserm et de Sorbonne Université. Chez cette espèce, certains traits de caractère stables peuvent s’inscrire dans l’activité même des neurones d’un individu et se voir modifiés lorsque change la composition de son groupe. Ces résultats sont publiés dans Nature Communications.
L’individualité n’est pas le propre de l’Homme. Si l’idée a pu rebuter les biologistes au départ, il est aujourd’hui admis qu’elle se rencontre chez toutes les espèces animales. On la définit comme l’ensemble des différences de comportement relativement stables dans le temps entre individus d’une même espèce. Si le processus dit d’individuation est sous-tendu par des composantes génétiques et développementales, des chercheurs viennent de démontrer chez la souris que l’environnement social et l’activité de certains neurones ont aussi un rôle déterminant dans l’émergence d’individus distincts.
Pour arriver à cette conclusion, les équipes des laboratoires Neuroscience Paris-Seine (CNRS/Inserm/Sorbonne Université), Adaptation biologique et vieillissement (CNRS/Sorbonne Université)1 et de l’Institut de la longévité de Sorbonne Université situé à l’Hôpital Charles Foix (AP-HP) ont étudié la vie des habitants de « Souris City », un dispositif expérimental novateur offrant deux lieux de vie en commun aux animaux, et la possibilité de leur faire passer un test un par un, sans intervention humaine. C’est grâce à ce test que les chercheurs ont identifié différentes « personnalités » parmi les souris. Celui-ci était un labyrinthe en T où elles devaient choisir entre deux bras menant, à de l’eau normale pour l’un ou à de l’eau sucrée pour l’autre. Ces deux positions étant alternées régulièrement. Face à ce problème, deux stratégies radicalement différentes ont émergé : certaines souris variaient très souvent leur choix, d’autres presque jamais.
La première chose que les auteurs ont observée est que le type de comportement adopté par chaque individu était corrélé au fonctionnement des neurones producteurs de dopamine, impliqués notamment dans la prise de décision. Les souris qui alternaient le plus par exemple, présentaient une activité dopaminergique plus faible. On peut donc dire qu’il y a une inscription biologique de l’individualité des souris.
Pour comprendre le rôle de l’environnement social des souris sur le développement de ces différentes individualités, les chercheurs ont poursuivi leurs expériences en modifiant la composition des groupes de Souris City. Ils ont regroupé les individus qui adoptaient la même stratégie au test, ceux qui alternaient peu d’un côté, et ceux qui alternaient beaucoup d’un autre. Surprise : après quelques semaines, les rôles étaient redistribués au sein de chaque groupe ! Certaines souris variant peu leur choix étaient devenues les plus exploratrices de leur nouveau groupe, et vice versa.
Plus étonnant encore, ce changement de comportement est corrélé à une modification de l’activité du système dopaminergique des souris. Ces résultats suggèrent que, loin d’être figés, les mécanismes de prise de décision, les registres comportementaux, mais aussi le niveau d’activité des structures nerveuses de chaque individu s’adaptent en fonction de la structure sociale dans laquelle ils évoluent.
Le fait que l’environnement social contribue aux différences entre les individus a des implications en sociologie, en psychologie, en biologie mais aussi en médecine. Les facteurs sociaux ont aussi un rôle dans le développement de pathologies psychiatriques telles que l’addiction. Un domaine auquel les chercheurs vont s’intéresser en étudiant l’influence de l’environnement social sur la vulnérabilité aux drogues.
- 1Ces laboratoires sont membres de l’Institut de biologie Paris-Seine.
Social interactions impact on the dopaminergic system and drive individuality, N. Torquet, F. Marti, C. Campart, S. Tolu, C. Nguyen, V. Oberto, M. Benallaoua, J. Naudé, S. Didienne, N. Debray, S. Jezequel, L. Le Gouestre, B. Hannesse, J. Mariani, A. Mourot et P. Faure. Nature Communication, le 6 août 2018. DOI : 10.1038/s41467-018-05526-5